Je cherche une maison qui vous ressemble. Texte : Marie-Christine Lê-Huu ; mise en scène : Benoît Vermeulen ; avec Catherine Allard, Simon Landry-Désy ; une production d’Autels particuliers et du Théâtre les gens d’en bas. Présenté au Théâtre Denise-Pelletier du 22 au 30 avril 2021.
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En cette période où les arts vivants sont constamment mis à mal, c’est une idée astucieuse de marquer la réouverture du Théâtre Denise-Pelletier avec un spectacle qui célèbre la liberté, la création et la passion. Je cherche une maison qui vous ressemble nous invite à rêver d’un futur engagé et inspiré en revisitant notre histoire collective par l’entremise du couple mythique que formaient Pauline Julien et Gérald Godin. Moins un cours d’histoire que le rappel d’une époque d’effervescence et de projets collectifs, le texte de Marie-Christine Lê-Huu donne voix à ces personnages plus grands que nature dont la ferveur est intemporelle. Sans tomber dans la nostalgie indépendantiste d’un autre temps, ce spectacle témoigne d’une grande tendresse envers un rapport au monde vivifiant qui contraste avec notre époque cynique, désabusée et désinvestie, où tout semble participer à nous diviser plutôt qu’à célébrer ce qui nous ressemble/rassemble.
Libérer la poésie de notre temps
La mise en scène que propose Benoît Vermeulen est toute simple, ce qui ne l’empêche pas d’être d’une grande efficacité. Le rythme avec lequel s’enchaînent les tableaux, ponctués ici et là de chansons de Pauline Julien ou de poèmes de Gérald Godin, est fluide. La scénographie de Nathalie Trépanier – des piles de livre, une bicyclette, une coiffeuse, des chaises, un micro, un écran de projection – nous plonge rapidement dans l’univers de ces deux artistes en laissant toute la place aux interprètes et aux univers poétiques qu’ils incarnent. Le tout est accompagné par la musique de Gaël Lane Lépine, laquelle permet de lier de belle façon la disparité des époques et des espaces évoqués. Évitant les enrobages superflus, tout est mis en œuvre afin que les mots de Julien et de Godin soient célébrés.
Le seul aspect du texte qui produit un certain agacement est sa propension à intégrer dans sa fable un commentaire critique ponctuel sur le spectacle en train de se produire, comme pour justifier l’actualité du propos ou la pertinence de la démarche, voire anticiper les critiques qui pourraient être formulées à son égard. On a vu ce procédé autoréflexif tant et tant encore au théâtre ces dernières années – notamment lorsque vient le temps de revisiter des classiques – que le mécanisme ne surprend plus et renvoie même à une certaine facilité. N’appartient-il pas au spectateur d’établir ce genre de questionnement implicite entre le spectacle et notre présent, sans qu’il soit constamment demandé aux comédiens de sortir de leur rôle pour commenter de manière lucide ce qui vient de nous être présenté ou ce qui suivra ? Il serait plus habile de faire confiance à la force de l’écriture que d’imposer ce genre de ruptures de ton pour effectuer des mises au point à chaque étape du processus en tenant le spectateur par la main de peur qu’il passe à côté du propos.
Une fougue contagieuse
Ce qui sauve un peu ce procédé, c’est qu’on appuie la convention dès le départ : ce sont Catherine Allard et Simon Landry-Désy en tant qu’eux-mêmes qui ouvrent le spectacle en disant offrir leur corps aux personnages mythiques de Julien et Godin le temps de la représentation ; la mécanique théâtrale est au fondement même du projet. On est dans la réappropriation subjective et non dans la mimésis documentaire, choix astucieux. On s’intéresse ainsi moins aux détails qui nous permettraient de savoir si les comédiens correspondent bien aux individus de référence qu’à la façon dont ils arrivent à en incarner l’intensité, la passion et la ferveur ; c’est cette fougue et cette sensibilité qui nous happent et nous transportent. À ce titre, Catherine Allard ne pourrait être plus convaincante. L’énergie et l’assurance avec lesquelles elle attaque le rôle de Pauline Julien sont incomparables ; qu’on soit familier ou non avec la chanteuse, on ne peut qu’être captivés par la proposition qui nous est offerte. Si Simon Landry-Désy donne pour sa part moins de variations à son interprétation de Gérald Godin, il réussit tout de même à suivre le rythme bouillant de sa co-interprète, voire à voler la vedette à quelques occasions. On y découvre aussi Allard comme une chanteuse de grand talent : son interprétation de quelques classiques de Pauline Julien est époustouflante et nous donne envie d’en revisiter tout le répertoire. Elle confère un nouveau souffle à la parole de cette artiste d’un autre temps sous forme d’hommage bien ficelé, mais jamais trop appuyé ; contrairement à d’autres spectacles du genre présentés ces dernières années, on n’a jamais l’impression que la dimension musicale supplante la dimension théâtrale.
Ce que le spectacle met implicitement en lumière, c’est que nous sommes aujourd’hui devenus, pour la plupart, des « immémorants ». Notre modernité fabrique davantage de consommateurs interchangeables que de citoyens responsables, désireux de comprendre et de construire. Est-ce dire qu’il faudrait rester enchaînés au passé ? Bien sûr que non. Le texte de Lê-Huu nous rappelle plutôt la force vive des émotions et des rêves d’idéal, et comment ceux-ci sont nécessaires pour renverser l’apathie individuelle et collective. Il nous remémore l’importance et la valeur des mots, voire de l’art, dans la fabrique, à toute époque, d’un monde où il est bon de s’appartenir.