Face-à-face, Création et mise en scène Jérémie Niel. Chorégraphies Catherine Gaudet. Interprétation Louise Bédard et Félix-Antoine Boutin. Éclairages Cédric Delorme-Bouchard. Conception sonore Jean-Sébastien Côté et Ariane Lamarre. Costumes Léonie Blanchet. Une coproduction de Danse-Cité et Pétrus. Jusqu’au 11 avril 2021, à Montréal, La Chapelle Scènes Contemporaines.
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Face-à-face, c’est le titre de la pièce, le ton du dialogue et la posture du duo. La remise en route des corps, entravés par la pandémie, mais s’adressant ici frontalement au public, est plus que sensible. Entre improvisation et répétition rodée, cela commence comme une conférence, théâtrale et non dansée ; mais, de ce prétexte, il ne restera bientôt plus que la chose à faire : jouer, danser, s’inventer un être en scène, se doter d’une présence intense.
C’est l’effet attendu d’un bon spectacle, de toute évidence. La chorégraphe Louise Bédard et le metteur en scène Félix-Antoine Boutin, par leur alliance, éclipsent ainsi leurs complices de l’ombre : place à ce qui s’incarne.
D’abord, les sens et les voix cherchent leur espace de jeu. Les deux interprètes ré-apprivoisent la voix, l’intensité, la durée. L’improvisation laisse place à des disparitions, à des jeux solitaires, à l’évanescence propre tantôt au théâtre, tantôt à la danse – l’un mouvement, l’autre sculptural –, à des retrouvailles, suivies d’adresses entre soi, à des ordres à la régie ou à des questions au public, circulations singulières et communes au théâtre et à la danse.
Ce n’était pourtant qu’une mise en scène. Vient alors le jeu scénique proprement dit. Les chemins fourchent alors dans le songe. L’acteur est parti en bateau sur un fjord, et la danseuse s’évade à son tour. L’un par son corps, l’autre à l’intérieur de celui-ci. Toutefois, on ressent toujours la pérennité du dialogue entre eux. Ils partagent un espace vide et l’occupent par la seule force de leur instinct ludique. Comme dans un livre d’images, qu’on se plairait à feuilleter, leurs gestes nous retiennent, nous fascinent par ce vagabondage de qualité.
Arts complices
Qu’est-ce que le théâtre pour l’un, la danse pour l’autre ? Impossible que ce soit artificiel, mécanique, décalé. Les mots doivent rester sentis, les gestes sûrs, l’âme présente, vitalisée. Dans un art comme dans l’autre, on n’occupe pas la scène de la même façon, un fragment d’inconnu habite l’empirique. La danse et le théâtre s’interprètent dans leur différence réversible, se dévoilant en parallèle, mais dans un langage universel qu’on pourrait rapporter à celui de l’enfance.
La preuve artistique se donne en exercice. Louise Bédard, magicienne de l’ombre et complice de tous les espaces où sa grâce rêve, déroule son poème en lignes pures, jaillies du cœur, là où elle déambule et parfois se débat. Félix-Antoine Boutin, après avoir décliné son imaginaire de la mer, seul sur une coque de noix invisible, plonge dans sa langue instinctive, recroquevillé sur un nœud d’imaginaire, comme sur un nid de vipères qui l’auraient mordu. Le corps déployé puis noué de l’acteur se fige dans une posture dansée, tandis que roulent les vapeurs qui enveloppent les deux performeurs, métamorphosés au rythme des flux qui les traversent, chacun voguant, avec ou sans mouvement, dans son esquif symbolique.
Salle complice
Faire parler et faire écrire Louise Bédard. Faire danser et faire écrire Félix-Antoine Boutin. Chercher la trans-subjectivité capable de les traverser tous deux. Le metteur en scène Jérémie Niel est un habitué de cette versatilité, où les pros de la scène, échangeant leurs habiletés, ne se laissent pas déborder.
Ce sont les « au-delà » des genres et techniques qui créent l’art, l’émotion et la fusion. Quand la parole s’impose, elle créé une musique propre, un flot rythmique qui va s’amuïssant. Elle devient alors inutile, et le chant s’impose. De même, avant que la danse ne se laisse emporter par le cri, on s’immerge dans la subtilité de Catherine Gaudet.
Un indicible objet s’invente, pur, dans l’activité de ces sujets vagabonds, déconditionnés du quotidien, mais pourtant toujours près du banal. Il est question que ces interprètes s’embrassent longuement, amoureusement. Ils s’étreignent ici en scène, presque autant que sur l’affiche, parce que ces couples sont indissolubles : la danse et le théâtre, l’écriture et le geste, la parole et le corps. L’artiste et son public forment l’autre paire de partenaires. Rien de virtuel dans cette abstraction, dans ces retrouvailles entre vivants. Tout y est essentiel.
Qu’il faisait bon, depuis les gradins, de se souder à ces artistes en chair et en os. De voir Louise Bédard et Félix-Antoine Boutin attendre leur public au bord de l’espace scénique, et de nous glisser, clairsemés mais choyés, entre des sièges bloqués par de noirs fantômes. Le piano, presque envahissant, capture l’ambiance fébrile pour nous visser encore davantage à cette intimité.
crédits photos: Frabrice Gaëtan