Punch Line, Compagnie : Grand Poney ; Création et interprétation : Jacques Poulin-Denis ; Œil extérieur : Sophie Breton, Brianna Lombardo ; Dramaturgie : Gabriel Charlebois Plante ; Contribution au texte : Sylvie Laliberté ; Confidente à la création : Julie Espinasse ; Costume et décor : Marilène Bastien ; Lumières : Claire Seyller ; Électronique : Samuel Saint-Aubin ; Conception sonore : Jacques Poulin-Denis ; Direction de production Jasmine Kamruzzaman ; Direction technique : Émile Lafortune ; Dessin technique : Yanérick Hains ; Vidéo teaser : Robin Pineda Gould ; Coproduction : Agora de la danse. Présenté du 14 au 30 avril 2021 à l’Agora de la danse.
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Peut-on échapper à son propre corps dans l’art ? À l’identité définie par son corps dans la danse ? Le corps définit-il notre identité ? Ce sont là des questions délicates qui se posent souvent, pourtant avec une grande pudeur chez de nombreux artistes de la danse. La plus récente pièce de Jacques Poulin-Denis les affronte non sans courage, mais également avec justesse.
Dans Punch Line, les rares éléments de décor s’apparentent à celui du one man show : au centre, ils appuient les thèmes centraux de l’anxiété, de l’insécurité, de la rencontre avec l’autre. Aidé au texte par la performeuse et autrice Sylvie Laliberté, Poulin-Denis investit de front la scène, interpelant dès le départ l’audience au micro. Mettant l’aspect psychanalytique sous les projecteurs, la dramaturgie de cette rencontre tant attendue avec le public s’attarde sur l’identité de Poulin-Denis en tant que danseur.
Sous le rire
La pièce commence par une interpellation du public : ça fait longtemps. Comme à un bon ami, Jacques Poulin-Denis commence à raconter. Nous avons affaire à une confession d’importance (« je sens qu’on veut que j’en parle », dit plus tard Poulin-Denis, recroquevillé, à l’ombre du projecteur), cette confession à laquelle il a, selon ses mots, toujours voulu échapper. Le spectateur pressent que le danseur et chorégraphe va partager ses souvenirs avec une réserve quant aux détails.
La danse s’engage dans la générosité des émotions. Le one man show décolle : la parole, ressentie jusque dans les mains engendre la gestuelle, la gesticulation, les sparages, la pantomime. La danse se raffine dans le laisser-aller, avec de nombreuses textures intéressantes et introversions aux aspects nuancés, ancrés dans la mémoire récente ou enfantine (tirer les fils de l’échine, les aiguilles de la gorge, prendre son grabat et marcher, le dos voûté, un poids sur les épaules – très lourdes –, ou alors chasser les gadgets sonores). Aidé par l’éclairage, le danseur entraîne avec lui son ombre par les « petites portes » de ses réflexions, dans un discours intérieur désordonné rappelant les « flux de conscience » littéraires. Il raconte le souci (et certains échecs) de vouloir agir normalement, de faire rire pour distraire, pour être aimé.
Dans son langage unique, c’est-à-dire à l’aide d’une structure très rythmée, à la limite de la création musicale (nombreuses accélérations, décélérations, brisures de rythmes soudaines, gradations) et avec un contenu théâtral (la parole reste au cœur de l’œuvre), la chorégraphie se veut un décorticage de l’objet du rire, présenté comme l’évitement de la source créatrice : « je m’en sors souvent comme ça, là, faire des blagues; mais […] je sais plus comment faire ». Devant public, l’artiste de renom extériorise la perception qu’il se fait de son corps ainsi que son désarroi devant ses propres limites. Sa confession entraîne une mise à nu métaphorique et physique (partielle) où il s’expose dans un solo, sous un éclairage latéral. L’enregistrement différé sur lequel repose cette critique ne fait d’ailleurs probablement pas honneur à ce dévoilement, qui devait être mémorable. Le danseur y expérimentait l’équilibre, les déplacements dans l’espace, divers types de pas, de rythmes, sauts et pivots.
Distorsions en stainless
En sa qualité de compositeur, Jaques Poulin-Denis signe encore une pièce à la trame sonore percutante. Dès l’introduction, le danseur intervient sur scène avec des bruitages. La pièce fait ainsi dialoguer diverses voix, directes et enregistrées. Cette technique amplifie l’aspect psychanalytique de l’ensemble. La trame sonore enregistre également des extraits du récit, qu’elle repasse en boucle. Elle fait naître un dialogue entre le danseur et ses souvenirs, et ouvre la porte vers les nombreux questionnements et angoisses qui le transportent, physiquement. Elle sert de démonstration pour les anecdotes, les propos rapportés, interjections et onomatopées (l’empathie racontée, le rire imité). La façon dont la danse les extrapole témoigne de l’effet qu’ont ces discours des autres sur le corps. Enfin, la distorsion entre en scène dans les souvenirs d’enfance, et évoque l’insatisfaction face à son propre corps.
À travers la simplicité apparente et désarmante du rythme, de la parole et de la gestuelle, on a le sentiment que tout le monde danse, peut danser, que la danse commence dans la gestuelle parlée. Lorsque le soliste s’éloigne du micro, le laisser-aller s’installe; la danse se raffine. C’est là qu’il exprime, à travers une discipline exigeante, libéré des parasites sonores de la parole et des boucles qu’il a lui-même orchestrées, une grâce laissant deviner une soif de vivre, de tendre vers l’autre, d’explorer l’espace dans un lâcher-prise aussi ludique que concentré, exposant un visage neutre, tourné vers la vie intérieure. Les bras ouverts, le plexus bien au-dessus de la peur, même dans cette pièce où il raconte l’histoire de son corps, Jacques Poulin-Denis, par son style chorégraphique, donne davantage à voir un besoin d’aller vers l’autre qu’une démonstration. La pièce, si elle n’a pas été conçue pour répondre au contexte, nous rappelle que le discours sur l’anxiété sociale, la pression, l’insécurité dans la rencontre de l’autre est plus que jamais actuel et essentiel pour tous.