Le Nœud. Texte : Johnna Adams ; traduction : Maryse Warda ; mise en scène : Guillermina Kerwin ; interprètes : Marie-Joanne Boucher, Édith Paquet ; assistance à la mise en scène : Emmanuelle Nappert ; costumes : Marie-Chantale Vaillancourt ; décor et accessoires : Guillaume Lord ; éclairages : Étienne Boucher ; musique : Ludovic Bonnier ; une production Écoumène, en codiffusion avec La Manufacture, présentée au Théâtre la Licorne du 14 février au 12 mars 2022.
///
Une enseignante de 5e année et une mère se rencontrent. Cette dernière souhaite faire la lumière sur les événements qui ont mené à la suspension de son fils, quelques heures avant son suicide dans le garage de leur domicile. Telle est la prémisse de la pièce Le Nœud (Gidion’s Knot) de Johnna Adams, présentée ces jours-ci dans une traduction de Maryse Warda, au Théâtre la Licorne. En découle une confrontation ponctuée de non-dits, d’hypothèses et d’accusations fondées ou non entre deux femmes qui se sentent coupables du sort d’un enfant dont elles n’ont pas su mesurer la détresse. On y interroge alors le poids des carcans scolaires et familiaux sur ces enfants atypiques qui, faute d’espace pour exprimer leur vérité intérieure, en viennent parfois à poser des gestes radicaux et irréversibles.
Sur la corde raide
Le texte de Johnna Adams, en apparence simple en raison de sa structure classique et du face-à-face qu’il propose, est en fait très complexe. Il s’agit d’une partition épurée qui peut vite devenir casse-gueule si elle n’est pas parfaitement maîtrisée. Or, c’est là où le bât blesse dans la proposition de Guillermina Kerwin, laquelle ne paraît pas tout à fait aboutie. Se déroulant dans une salle de classe, ce huis clos limite l’espace scénique par sa taille et ses possibilités techniques. Il faut dès lors faire preuve d’inventivité pour habiter le lieu efficacement. Bien que le décor de Guillaume Lord soit créatif et serve à merveille l’intrigue de la pièce sur le plan symbolique, la mise en scène de Kerwin paraît, elle, un peu artificielle : les déplacements et les gestes des comédiennes basculent souvent dans la redondance et l’incohérence, comme si elles avaient du mal à se renouveler et à s’approprier l’espace de manière à assurer un effet de réel.
Le spectacle a été conçu pour ne durer qu’une heure parce qu’il serait – ou devrait être – insupportable d’assister à un tel affrontement sur une plus longue durée, mais l’interprétation de Marie-Joanne Boucher et Édith Paquet manque de tension. Le texte d’Adams accumule les interruptions et les suspensions, ce qui requiert des comédiennes une grande écoute et un rythme soutenu. Curieusement, ce qui devrait la plupart du temps être un dialogue de sourds entre deux femmes prend ici la forme d’une succession respectueuse de répliques et de silences. La matérialité du texte s’en trouve ainsi bien palpable, transformant Le Nœud en pièce qu’on imagine plus intéressante à lire qu’à entendre.
Un coup d’épée dans l’eau
Pour bien apprécier ce spectacle – qui n’est absolument pas dépourvu de qualités littéraires –, il semble qu’il faille suspendre nos attentes en termes de réalisme, porter notre attention sur sa dimension philosophique et accepter ce texte pour ce qu’il est vraiment : une allégorie. Après une demi-heure de piétinements maladroits et de faux suspenses, on entre enfin dans le cœur de l’affaire : une juxtaposition de nœuds insolubles (soulignée par le titre de la pièce) en référence au mythe du nœud gordien ; c’est à ce moment que toute l’intelligence et l’intérêt du théâtre d’Adams se révèlent.
On comprend que l’enfant de onze ans a rédigé un texte poétique d’une violence et d’une perversité inouïes avant de le faire circuler dans sa classe. Si l’enseignante en est catastrophée, la mère, une professeure de littérature médiévale, est quant à elle éblouie par le génie littéraire de son enfant, en qui elle voit une sorte de marquis de Sade contemporain. Se pose alors un ensemble de questions éthiques : peut-on tout dire sous le couvert de l’art, à plus forte raison si cette expression artistique provient d’un enfant ? À quel prix souhaite-t-on préserver la pureté et la fragilité qu’on impute à la jeunesse ? De quoi cherche-t-on exactement à protéger les élèves hors-normes en limitant et en censurant leur subjectivité créative ? Si Le Nœud soulève des questions pertinentes et actuelles à propos de la liberté d’expression, le spectacle, malgré ses belles nuances, ne va pas au fond des choses et se clôt sur un événement banal qui vient distraire les personnages des questions importantes – ce qui n’est pas si éloigné du sort qu’on réserve habituellement aux grands débats dans l’actualité. Comme nous le rappelle le geste d’Alexandre le Grand qui, n’arrivant pas à dénouer le nœud gordien, le tranche de son épée, ce sont les gestes radicaux qui servent souvent de pis-aller à ces tiraillements intérieurs.
crédits photos : Ariel Tarr