Alain Desrochers, Bon Cop, Bad Cop 2, Jessie films et Item 7, 2017, 126 minutes.
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Faire autant avec moins. Voilà le pari qu’a tenté de relever Patrick Huard (producteur et scénariste) et Alain Desrochers (réalisateur) avec Bon Cop, Bad Cop 2, suite du plus grand succès de l’histoire du box-office québécois (les usurpateurs disent plutôt canadien, mais l’édifiant Porky’s, en tenant compte de l’inflation, conserve cette distinction). Avec un budget qui égale les bénéfices engrangés au pays par son prédécesseur (douze millions de dollars), les ambitions de BCBC2, soit de ne pas avoir à rougir face à des productions américaines possédant dix fois son budget, sont énormes, voire démesurées. Les attentes du grand public le sont tout autant. Pour ce critique, l’intérêt premier réside moins dans les qualités (quelques-unes) et défauts (plusieurs) du film que dans l’impact qu’il aura sur les directions que prendront notre fragile industrie dans les prochaines années. L’enjeu de BCBC2 se joue plus dans les salles que sur le grand écran.
À vrai dire, une bonne partie de l’industrie doit présentement retenir son souffle, celle-ci misant obstinément et ce, depuis des lustres, sur maintes comédies cuisinées dans le but avoué de ramener nos parts d’un marché dominé par nos voisins du Sud à des niveaux pas trop gênants. Ego Trip, Cabotins, Les doigts croches, French Immersion – C’est la faute à Trudeau, Hot Dog, Le sens de l’humour, L’appât, Le vrai du faux, Votez Bougon : la liste est longue et parfois désolante. Étrange alignement des planètes ou manœuvre orchestrée, tous les distributeurs du Québec cet été se rangeront sur l’accotement afin de laisser passer deux ambulances salutaires, ce Bon Cop, Bad Cop 2 et, en juillet, De père en flic 2 d’Émile Gaudreault (la suite du deuxième plus grand succès du box-office québécois). De retour à la programmation auteuriste (Le problème d’infiltration de Robert Morin, sortie le 25 août) après la pause.
Pete pis repeat
Pour réussir son hachis parmentier à la sauce amaricaine, avec des boulons et du shrapnel dedans s’il vous plait, ça prend de l’action (un char), des rires (une barge) et juste assez d’émotion dans les encoignures pour que ça prenne. BCBC2 démarre littéralement sur les chapeaux de roue, alors que David Bouchard (Ti-cuir la réplique, Huard), se la jouant Brian O’Conner de The Fast and the Furious, infiltre un réseau de vols de voiture dissimulant de funestes visées. Lui tombera dans les pattes son ancien collègue Martin Ward (Tonton la procédure, Colm Feore), maintenant agent de la Gendarmerie royale du Canada avec qui Bouchard avait dix ans auparavant traqué le Tattoo Killer des deux côtés de la frontière Québec-Ontario. Flanqué d’une hackeuse disons euphémiquement leste (l’humoriste Mariana Mazza), le duo remontera la mystérieuse filière jusqu’au pays de l’Oncle Sam.
Exit les blagues sur l’accord des sacres québécois (d’un registre familial nous passons donc à un registre courant), le hard rock et cet éprouvé scellant culturel qu’est le hockey : BCBC2 a moins à voir avec un vidéoclip d’Éric Lapointe qu’avec un produit scrupuleusement nettoyé de son grain et de sa crasse. Quelques bons gags et une réalisation efficace de Desrochers ne parviennent pourtant pas à dégager du fond du Canal de Lachine un scénario au schématisme bête (un seul exemple : la bombe à retardement, pivot que seuls les Mission : Impossible et James Bond de ce monde osent encore utiliser, moins par manque d’idées que par nostalgie kitsch). De surcroit, les plans machiavéliques des gros méchants à numéros sont à ce point laborieux qu’on est en droit de se demander si ces derniers ont adéquatement été sous-titrés en français par la production.
Du cœur y est mis, mais pas assez pour faire fi des nombreuses maladresses qui minent l’ensemble. Sauvons les trop brèves apparitions de Marc Beaupré, une direction photo de Ronald Plante (Monsieur Lazhar, La face cachée de la lune) refusant les effets de mode et, le meilleur pour la fin, Colm Feore. L’acteur, qui en a vu d’autres (les rôles de Alexander Hamilton, Glenn Gould, Pierre Elliott Trudeau), réussit à reproduire l’Opéra de Sydney avec les cinq bâtons de Popsicle que lui fournit Huard, tant il émeut malgré ce qui constitue l’une des conventions narratives les plus vétustes du buddy cop movie, soit le flic vieillissant, malade ou sur le point de prendre sa retraite. Sans lui, le film aurait l’air de ce que tourne Jason Statham entre deux Expandables.
Sauver le monde
Malgré les importantes ressources mises à sa disposition, Bon Cop, Bad Cop 2 se refuse tout, surtout l’occasion de surprendre, de transcender les codes établis, de s’appartenir. En entrevue récemment à Tout le monde en parle, Huard avançait fièrement que son dernier-né contenait cinq fois plus de scènes d’action que BCBC premier du nom, un peu comme on nous promet deux pelletés de raisins secs dans les Kellogg’s Raisin Bran. Mais quand on a vu une explosion au ralenti, sous huit angles différents, on les a toutes vues, non ? Et ce n’est pas un clin d’œil à la cascade la plus célèbre de Buster Keaton, une tentative désespérée de rallier les millenials avec la présence gênante de Mazza en pirate informatique goth-rave-punk (cliché présent dans le dernier film de Desrochers, Nitro Rush) et une trame sonore « comme les vieux films de Chuck Norris » (dixit la conjointe de Huard et compositrice Anik Jean) qui viendront changer la donne.
C’est bien connu, la survie d’un film québécois en salle est jouée dès sa première fin de semaine. Et vu qu’on nous le quémande chaque quinzaine, courons quand même voir Bon Cop, Bad Cop 2. Il en est de notre devoir. Le divertissement rentable, faisons-en notre affaire. Insérons-le dans notre liste quotidienne de tâches à effectuer :
· Passer chez le nettoyeur
· Acheter du lait à l’épicerie
· Sauver le cinéma québécois
We could be heroes, gériboire!