Tout inclus; Texte de François Grisé; Dramaturgie, Annabel Soutar et Agathe Foucault; Mise en scène, Alexandre Fecteau; Lumières, André Rioux; Décor, Odile Gamache; Conceptions sonores et vidéo, Alexander MacSween et Francis Laporte; Distribution, François Grisé, Marie-Ginette Guay, Jean-François Gaudet, Marie Cantin; Régie et technique; Julie Brosseau-Doré, Adèle St-Amand et Nicolas Belle-Isle; Direction de production, Stéphanie Hayes; Une co-production de Porte Parole, Un et un font mille et le collectif Nous sommes ici. Théâtre documentaire présenté au théâtre La Bordée, 29 mars au 8 avril; Salle Desjardins-Telus, Rimouski, 11 avril; Centre culturel Bélanger, Rivière-du-Loup, 13 avril; Salle J.-Antonio-Thompson, Trois-Rivières, 18 avril. 2023.
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Quand je vois la vie je me sens bien jeune,
quand je vois la mort je me sens bien vieux.
Paul Zumthor, Lettre à Jean Fougère, 22 juin 1932
La pandémie a jeté la lumière sur des réalités sociales aussi criantes qu’obreptices, particulièrement en ce qui concerne le traitement réservé aux personnes âgées. Pour permettre d’y voir clair, la rencontre Vivre et vieillir à Québec prenait place au printemps dernier dans la Vieille-Capitale. Organisé par le groupe de recherche VITAM (Centre de recherche en santé durable), le rendez-vous communautaire, culturel et scientifique visait à changer l’imaginaire social du vieillissement tout en ouvrant un espace d’expression aux principaux intéressés. Colloque, forums, tables rondes, expositions, performances : cette mobilisation sans précédent a réuni une vingtaine d’organismes et plus d’un millier de participants.
Symptôme de cette prise de conscience collective, les manifestations culturelles où sont mis en valeur les ainés se multiplient. À Québec, l’an 2023 commençait en beauté avec la vénérable conteuse locale Geneviève Marier qui, invitée par ès Trad à la Maison Chevalier, a offert ses tranches de vie comme on partage un bon pain. Le Mois Multi recevait quant à lui le spectacle All the Sex I’ve Ever Had, qui mettait en scène des citoyens d’un certain âge racontant leur vie sexuelle et invitant le public à la confidence. Le collectif Mammalian Diving Reflex, derrière cette proposition coquine, crée « des œuvres qui reconnaissent la responsabilité sociale de l’art, en favorisant un dialogue entre les membres du public, entre le public et le matériel, et entre les interprètes et le public ». De quoi déculotter les tabous et admettre que la vieillesse n’est pas incompatible avec le plaisir.
C’est dans un même esprit d’innovation sociale et d’inclusion que travaille François Grisé. Ce dernier propose Tout inclus, une création pré-pandémique dont le sujet, les « maisons de vieux », s’inspire d’un fait vécu. Apprenant que ses parents entraient en résidence, l’auteur a effectué lui-même une immersion d’un mois dans un centre d’hébergement privé. L’expérience a donné lieu à une œuvre scénique où le réalisme côtoie le tragique, avec moins de résignation que de résilience, et un humour aussi grinçant que bienveillant.
Entre autres qualités, un jeu d’acteur remarquable et une mise en scène épurée bénéficiant de stratégies simples pour ramener le public à l’évidence. Grisé brise le quatrième mur et s’adresse directement aux spectateurs, mais fait aussi parler des experts : démographe, sociologue, politicologue, actuaire, ainsi qu’un grand poète. Une chanson de Vigneault vient ponctuer les échanges. Les portraits et les noms de ceux qui ont livré leur témoignage sont projetés. C’est là rendre un bel hommage aux personnes et aux rencontres. La pièce est à l’origine divisée en quatre parties, comme autant de points cardinaux implantés dans le territoire. C’est à Val-d’Or, terre des mines, que Grisé s’est assigné à résidence, prétexte opportun pour creuser en soi-même et jouer de métaphore : des prospecteurs immobiliers au broyage, certains font leur or tandis que des vies sont pulvérisées. La vieillesse est ainsi observée à l’aune de la crise climatique et de l’agriculture, le déni de la mort conduisant à la « monoculture » des vieillards.
Manière d’invention, la promotion de la pièce est aussi une façon d’en nourrir le contenu. Les produits dérivés, pour ainsi dire, changent radicalement des publicités ordinaires et offrent plus un complément d’informations et l’occasion d’une participation qu’une mise à l’enchère. Balado de témoignages d’aînés sur leur expérience du confinement, invitation à des conversations publiques, forums : le dialogue entamé par Grisé se poursuit et devient mouvement.
L’œuvre instaure une tension entre le devoir de mémoire, le lâcher prise et l’anxiété de perdre ceux qu’on aime. Grisé a su bondir sur l’occasion offerte par une expérience intime pour faire entendre une cause sociétale qui concerne, au final, les gens de tous âges. Difficile de ne pas être touché par cette investigation engagée dans la sphère sociale dès lors que la proposition esthétique embrasse les questionnements relationnels autant que politiques.
Présentée durant la semaine suivant la sortie du documentaire J’ai placé ma mère de Denys Desjardins, la pièce Tout inclus tombe à point. À Québec, il suffit de traverser l’angle des rues Saint-Jean et Salaberry pour découvrir, si lointaines et si proches à la fois, les gigantesques photographies de Guillaume D. Cyr affichées sur l’immeuble d’un CHSLD : deux séries de 1 500 pieds carrés chacune couvrent une des façades du Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes, présentant les portraits et moments que l’artiste a saisi à l’intérieur du bâtiment. La vieillesse est littéralement à l’horizon. Puisque nous sommes les aînés de demain, posons-nous la question suivante, comme François Grisé le propose : comment souhaitons-nous vieillir ensemble ?