Les nouvelles du sport

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Photo : Maryse Boyce
18.03.2023

Sportriarcat; écriture de plateau : Claire Renaud; dramaturgie : Andréane Roy; assistance à la mise en scène : Geneviève Gagné; collaboration au mouvement et chorégraphies : Marie-Reine Kabasha; interprétation et participation à la création : Chloé Barshee, Laura Côté-Bilodeau, Krystina Dejean, Marie-Reine Kabasha, Geneviève Labelle et Rosalie Leblanc; scénographie : Karine Galarneau (d’après un concept d’Alix Brenneur); costumes : Marie-Audrey Jacques; conception lumières : Catherine FP; conception sonore : Kristelle Delorme; conception vidéo : Laura-Rose R. Grenier; coiffures et maquillages : Justine Denoncourt; direction de production : Marie-Jeanne Beaulieu; direction technique : Catherine Fasquelle; assistance à la direction technique : Romane Boquet; régie : Marie-Frédérique Gravel et Laura-Rose R. Grenier; accompagnement en éco-conception : Marie McNicoll et Julie Fournier (Écoséno); présenté à Espace Libre du 14 mars au 1er avril 2023.

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Sportriarcat : le titre du spectacle est une thèse en soi. Il annonce le propos thématique de la pièce, mais laisse aussi présager qu’il s’agira d’un manifeste dénonçant les injustices et les violences subies par les femmes dans l’univers sportif. On aura à faire à une démarche subjective épousant une approche opposée, en quelque sorte, à celle du théâtre documentaire (tel que pratiqué par la compagnie Porte Parole, par exemple), qui s’assure toujours de présenter tous les points de vue concernant les enjeux abordés. C’est effectivement une œuvre revendicatrice que propose la toute nouvelle compagnie Précieuses fissures. Or, ce qui étonne, c’est que le discours ne prend aucunement le pas sur la théâtralité. Les mouvements et le jeu physique, voire la danse, sont omniprésents dans la mise en scène signée par Claire Renaud, qui va jusqu’à convoquer la pantomime et le doublage de vidéos en direct pour enrichir le registre des procédés déployés.

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Photo : Maryse Boyce

Du podium au déclassement

La première image du spectacle saisit : six amazones modernes, arborant des tenues blanches évoquant à la fois le combat (plastrons, genouillères, épaulettes) et l’élégance (tissus vaporeux, jupes longues, matières scintillantes), après s’être échauffées durant l’entrée en salle du public, parcourent la scène en portant sur leur dos des colonnes grecques, qui seront bientôt coiffées d’un toit. Le symbole est éloquent : ces cariatides n’entendent pas seulement ébranler les piliers du temple, mais reconstruire en entier l’édifice du sport de compétition érigé par les hommes depuis les premiers jeux olympiques, au 8e siècle avant notre ère.

Suivront, en alternance, des projections d’extraits d’entrevues, de données historiques et de statistiques – concis et pertinents –, des saynètes de fiction exposant tantôt l’apprentissage du cri, par une équipe de soccer, comme outil d’accroissement des performances, tantôt la gestion bancale d’une suite d’attaques perpétrées par des surfaceuses (zambonis) – procédé satirique illustrant le peu de sérieux avec lequel les agressions sexuelles sont traitées –, et des tableaux muets. L’un d’entre eux ravit à la fois par son onirisme et par son pouvoir d’évocation : une nageuse, incarnée par Marie-Reine Kabasha (qui signe aussi les chorégraphies du spectacle), déploie sa vaste jupe métallisée, celle-ci se transmuant en l’eau d’une piscine qui finit par l’avaler. Coiffée de son bonnet de strass, elle est livrée à elle-même. D’autres tableaux laissent néanmoins perplexe. C’est le cas de la fastidieuse traversée du plateau par un monstre au pelage de filaments de plastique rose, qui se métamorphose en jeune femme arborant un costume orné d’une vulve dorée surdimensionnée. Le défilé d’un personnage vêtu d’un somptueux léotard lustré tombe également à plat. Il semblait y avoir là une belle occasion de s’exprimer sur la place outrancière que tient l’esthétique dans le rayonnement et donc dans la carrière des sportives, mais celle-ci n’apparaît pas avoir été pleinement exploitée.

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Photo : Maryse Boyce

C’est d’ailleurs une impression récurrente qui s’impose malheureusement au spectateur ou à la spectatrice que celle de l’occasion manquée. Certes, la recherche formelle effectuée par l’équipe de création de Sportriarcat, en multipliant les images puissantes, présente un intérêt certain, mais l’équilibre entre contenu et contenant paraît parfois déficient. En outre, le choix de ne pas se concentrer sur le monde du sport et d’inclure dans le discours les cas largement médiatisés des Jian Ghomeshi, Harvey Weinstein, Gilbert Rozon et consorts – pour parler plus généralement du mouvement #Moiaussi – a pour effet de diluer le propos, d’altérer la force de frappe du spectacle.

Les étoffes des championnes

En revanche, le choix d’une disposition scénique bifrontale, où l’aire de jeux, de forme allongée et flanquée de deux écrans, reprend les lignes au sol caractéristiques d’un gymnase, se révèle engageant, d’autant plus que les interprètes n’hésitent pas à franchir le quatrième mur pour impliquer le public à certains moments. Elles vont même jusqu’à discuter, chacune avec sa section des gradins, de l’une des dernières scènes de la pièce, où elles traduisent en direct les paroles de la championne olympique Simone Biles et de ses consœurs dénonçant non seulement les agressions commises par le docteur Larry Nassar envers des centaines de gymnastes, mais aussi la complaisance coupable de l’organisation USA Gymnastics, du comité olympique et du FBI. Un passage bouleversant du spectacle, qui introduit habilement la finale, où les athlètes se changent en guerrières.

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Photo : Maryse Boyce

On ne saurait, d’ailleurs, passer sous silence le rôle prépondérant que jouent, dans la production, les costumes élaborés par Marie-Audrey Jacques. Son hybridation audacieuse des matières et des textures, l’esthétique à la fois hétéroclite et cohérente qu’elle développe, ne font pas que ravir l’œil et l’esprit, ils soutiennent le propos de Sportriarcat en s’inscrivant dans sa dramaturgie de remarquable façon. De la toute première image du spectacle à sa dernière, où les athlètes, regroupées en une sororité martiale, ont troqué leur attirail de déesse contre des oripeaux couleurs de jais, les créations de la conceptrice sont porteuses de sens. Si ce passage du blanc au noir s’avère légèrement manichéen, il ne manque pas d’impact. Surtout, il statue sur la suite (nécessaire) des choses.

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Photo : Maryse Boyce

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