Plaisirs partagés ; maîtresse d’œuvre : Audrée Lewka ; création : Audrée Lewka, Guillaume Létourneau, David Emmanuel Jauniaux ; interprétation : Audrée Lewka, Guillaume Létourneau, David Emmanuel Jauniaux ; scénographie : Audrée Lewka ; composition musicale : Olivier Landry-Gagnon ; conception sonore : Olivier Landry-Gagnon ; spatialisation sonore : Guillaume Létourneau, Olivier Landry-Gagnon ; conception lumières : Catherine F. P. ; conception costumes : Audrée Lewka, Guillaume Létourneau, David Emmanuel Jauniaux ; chorégraphies : Emmalie Ruest ; répétitrice : Emmalie Ruest ; dramaturgie : Pier-Luc Lapointe ; direction de production et assistance à la mise en scène : David Emmanuel Jauniaux ; direction technique : Catherine F. P. ; présenté à La Chapelle scènes contemporaines du 6 au 8 mars 2023.
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Plaisirs partagés est la troisième collaboration d’Audrée Lewka, David Emmanuel Jauniaux et Guillaume Létourneaux. Les complices avaient présenté Dousse nuit en 2019, une création inspirée par les célébrations de Noël et portée, selon les mots de Lewka, par une « esthétique irrévérencieuse, infusée de culture populaire ». Cette esthétique se retrouve également dans leur nouveau spectacle haut en couleurs, qui propose un univers fait de « virtuose de seconde main, grandiose fuck-all, tendre shitty, solidement bancal », comme on peut le lire dans le mot de présentation de la maîtresse d’œuvre du projet.
Carnavalesque
À leur entrée dans la salle, les spectateur.rices sont accueilli.es par un grand château en carton à l’air DIY, agrémenté de fenêtres et d’un pont-levis au-dessus duquel un écran LED fait défiler un message lumineux : « Assis-toi / Take seat » [sic]. Tous.tes s’installent dans les gradins au son d’une version instrumentale et médiévalisante d’une chanson connue de Shakira. Cette entrée en matière donne le ton pour le reste de la fête loufoque à laquelle nous convie le trio dans ce spectacle alliant théâtre, danse, marionnettes et performance. La table est mise pour les réjouissances et divertissements à venir.
Plaisirs partagés s’inscrit assurément sous le signe du carnavalesque, compris comme renversement des hiérarchies et des valeurs, comme célébration de la culture populaire et du grotesque – dimension qui est d’emblée suggérée par l’univers médiéval de pacotille mis en scène au début de la représentation. En décalage par rapport aux productions théâtrales plus « sérieuses », l’œuvre assume pleinement sa conception artisanale ainsi que son aspect léger et humoristique. Elle entretient par ailleurs des liens avec des formes d’art en marge de la culture célébrée par l’institution, qui appartiennent notamment au registre clownesque ou burlesque. Les interprètes jouent dans une succession de tableaux évoquant parfois le sketch, tel que pratiqué par des groupes humoristiques. L’absurde, très présent, sert moins à formuler une critique sociale, comme dans les classiques du genre, qu’à susciter un rire libre et libérateur en ce qu’il n’a pas la prétention de servir une cause « élevée », si ce n’est celle du plaisir et de l’imagination. Cela dit, puisque l’irrévérence doit bien avoir pour but de bousculer un peu l’ordre des choses, on ne saurait ignorer les sous-entendus contenus dans un sketch où les interprètes utilisent des cartes de crédit géantes de manière assez explicite…
Corps comiques
Les dialogues sont rares dans le spectacle, qui est loin d’être verbeux. La dimension carnavalesque passe ainsi largement par le corps, qui est ici véhicule du comique. Le renversement du haut et du bas est même littéral, puisque les interprètes, qui jouent presque nu.es, accomplissent l’exploit de déplacer une grande partie de la performance au niveau de leurs fesses, sur lesquelles deux grands yeux ont été tracés au crayon noir pour leur donner l’air de visages. Iels utilisent ainsi cette partie de leur corps à la manière de marionnettes, ce qui leur permet d’incarner une série d’étranges personnages (qui vont du chevalier armé de son arc à la fleur accomplissant une chorégraphie de ballet) tout au long du spectacle. Ce procédé est évidemment très rigolo, mais une fois la surprise absorbée, on peut aussi apprécier le défi physique qu’il représente. Les trois interprètes doivent jouer dans une position inconfortable pour dissimuler leur torse, mais également contrôler leurs jambes, leurs bras et leur bassin afin de donner de l’expressivité à leurs personnages.
Tour de magie
Au fil du spectacle, les décors évoluent, le château se faisant vaisseau spatial, comptoir à sandwich ou volcan. Ces transformations passent par des moyens techniques simples, volontairement artisanaux, qui n’impressionnent pas moins par leur ingéniosité. Les comédien.nes revêtent une multitude de déguisements pour incarner des personnages qui n’ont souvent aucun lien entre eux. La trame sonore, quant à elle, passe par tous les genres et se métamorphose constamment. Devant ce spectacle où ne tiennent pas les principes du réalisme et de l’unité de sens, chaque nouveau tableau déjoue les attentes des spectateur.rices. Dans une entrevue avec Winston McQuade à l’émission de radio Le Culturel 2.0, Audrée Lewka décrit d’ailleurs le château de carton, pièce maîtresse des décors, comme une « boîte à surprises ». Plaisirs partagés est irriguée par une véritable joie de l’invention qui fait toute sa force : celle-ci est faite pour être partagée, comme le suggère le titre de l’œuvre.
« On a envie de vous faire un tour de magie qui est de vous happer avec nous, de vous happer et de pas vous relâcher pendant une heure. On a envie de partager ça avec vous », explique également la créatrice. Si le but de la proposition est d’abord d’offrir un bon moment au public, celle-ci a également été pensée comme une célébration de l’amitié : celle entre les trois artistes, et celle qui les unit au public, le temps de la représentation.