Simon Lavoie, La petite fille qui aimait trop les allumettes, GPA Films, 2017, 111 minutes.
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En adaptant le roman La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, succès d’estime devenu lecture obligatoire dans nos cégeps et traduit dans presque autant de langues que la quantité de bâtonnets à l’embout inflammable dans une petite boîte, Simon Lavoie nous confirme qu’il est possible de transposer en images notre littérature sans la pervertir. De s’en inspirer sans l’avilir. Le germe de cette confirmation, Lavoie l’avait semé en 2012 avec son Torrent tiré du recueil de nouvelles d’Anne Hébert.
Lavoie, qui constitue avec Mathieu Denis une abstraction bicéphale ayant donné naissance à deux films considérés parmi les plus infâmes jamais produits au Québec (Laurentie et Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau), propose avec ce dernier film solo une empreinte négative du Torrent. D’un film à l’autre, plusieurs éléments se font écho, notamment l’époque (vague, mais précédant la Révolution tranquille, voire la Grande Noirceur), le décor (des domaines isolés, coupés de la civilisation) et les thématiques (les dominations parentales et religieuses). On y retrouve un leitmotiv présent depuis Le déserteur en 2008, son premier long métrage, soit cette fascination pour un Québec d’antan, jamais perçu comme un objet statique, évocateur d’une nostalgie stérile, réchauffée, mais comme territoire laissé en friche d’où peuvent être excavés les signes de traumatismes que nous peinons encore à résoudre. Si l’adage veut qu’il faille savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, considérons La petite fille qui aimait trop les allumettes comme l’antépisode parfait de Ceux qui font les révolutions à moitié…
Chassez le sacré…
Isolés sur un domaine à l’orée des bois, deux adolescents (Marine Johnson et Antoine L’Écuyer) sont soumis au joug d’un père mystique (Jean-François Casabonne), à travers lequel s’exprime la parole sainte. L’homme les a convaincus qu’ils ont été modelés de ses propres mains dans de la glaise et que sa fille est en réalité un garçon, son sexe s’étant détaché de son corps en bas âge. Bien que le frère et la sœur n’aient jamais eu de contact avec le monde extérieur et que ceux de l’esprit et de la chair leur soient inconnus, la jeune femme, qui lit en cachette les écrits de Pascal, soupçonne leur père de leur mentir. Avec son frère, ils seront contraints de se frotter au reste du monde lorsqu’ils découvriront leur père pendu au bout d’une corde, d’abord pour l’enterrer, ensuite pour continuer d’exister. La jeune femme pourrait fuir, si ce n’était du monstre captif dans l’un des bâtiments de la propriété. Le jeune homme, qui a toujours été plus perméable à l’endoctrinement, sombre peu à peu dans un rigorisme à deux vitesses, heureux d’emprunter les habits et d’empoigner la carabine du paternel.
crédit photos : Max Rheault