Robin Aubert, Les affamés, La Maison de Prod, Christal Films Distribution, Téléfilm Canada, 100 minutes.
///
Même si le classique Night of the living dead de George A. Romero date de 1968, la popularité des zombies semble avoir atteint son paroxysme lors des dernières décennies, notamment avec la popularité d’une série télévisée comme Walking dead. Plusieurs réalisateurs connus se sont récemment frottés au genre ; on n’a qu’à penser aux Dany Boyle (28 days later, 28 months later), Peter Jackson (Braindead), Wes Craven (The Serpent and the Rainbow) et Paul W.S. Anderson (Resident Evil) de ce monde. Décidement, les morts vivants sont dans l’air du temps dernièrement.
Bien au-delà du divertissement gore typique de ce genre de film, les réflexions philosophiques autour du mort-vivant sont désormais légion, tissant des parallèles avec une société de consommation et d’hyperconnectivité où l’on serait en perte de compassion et d’empathie, où l’on laisserait jour après jour un peu de notre humanité derrière nous. Il s’agit en quelque sorte du même lien que l’on peut créer avec les nouveaux relents de popularité des films de science-fiction où figurent la robotisation de notre société, des moyens de production, puis de nos communications et peut-être, qui sait, de nos émotions et notre humanité. La télésérie britannique Black Mirror est justement une belle extrapolation de ces enjeux éthiques et ces questionnements qui commencent à émerger autour du progrès.
Avec le film Les affamés, le réalisateur Robin Aubert renoue avec le cinéma de genre, lui qui avait justement commencé sa carrière derrière la caméra il y douze ans avec le film d’horreur Saints-Martyrs-des-Damnés, un genre rare dans le paysage cinématographique québécois. Porté par une excellente critique et fort du Prix du meilleur film canadien du Festival de films de Toronto, le cinquième long-métrage du comédien, poète et metteur en scène arrive finalement en salle au Québec et représente probablement l’une des plus belles réussites des dernières années.
En plein cœur d’un petit village au fond de la forêt, hommes et femmes se mettent à s’entretuer en se sautant au cou ; les morsures étant contagieuses, la légion de ces morts-vivants ne cesse jamais de s’agrandir. Les quelques survivants tentent de le demeurer en cherchant munitions et vivres en plein cœur de la désolation. Bonin (Marc-André Grondin) sillonne son village à bord de son vieux pick-up, tantôt en repérage, tantôt en mission, toujours en fuite.
Autour de Grondin orbite une distribution féminine d’immense qualité : Charlotte Saint-Martin, Monia Chokri, Brigitte Poupart, Micheline Lanctôt et Marie-Ginette Guay. On trouve, dans l’acuité et la sensibilité des rôles féminins importants qui mènent le récit, l’une des belles particularités de ce film. Le mystère entourant la morsure à la main du personnage de Chokri, l’aplomb fabuleux du duo Guay-Lanctôt, la justesse et l’innocence de Saint-Martin et surtout l’intensité et l’abandon de Poupart portent le film de somptueuse façon.
Si le traitement et les théories autour des zombies pullulent dans la culture populaire de par l’engouement qu’il suscite, l’approche d’Aubert est singulière en raison de l’isolement narratif dont ces créatures font l’objet au sein de son scénario. À aucun moment nous n’aurons accès à l’histoire des personnages, à ce qu’ils étaient avant, ni même n’obtiendrons d’explications sur le début de cette contamination ou de théories sur la catastrophe qui se déroule. Sans nécessairement abandonner son spectateur, Aubert a choisi de laisser plusieurs éléments du film sans réponses évidentes pour se concentrer sur l’ici et le maintenant. En résulte un film terriblement humaniste sur le désir de survie, sur les choix moraux qui en découlent et sur la violence qui peut sommeiller en chacun de nous.
Convoquer les maîtres à la table de l’esthétisme
N’en demeure pas moins qu’Aubert ne détourne pas tous les codes du genre pour en faire un film aux questionnements philosophiques. Bien au contraire, on voit que l’homme connaît ses classiques et en joue pour produire un film à la facture photographique prodigieusement léchée, truffé d’accents gores terriblement efficaces. Tout au long du film, le jeu de caméra est d’une maîtrise remarquable, jouant beaucoup sur un cadrage très rapproché qui laisse travailler l’imagination du spectateur, ce qui devient encore plus insoutenable qu’une monstration franche.
Les affamés de Robin Aubert apparaît comme une leçon de cinéma sur le film de genre. Les scènes filmées en pleine nuit ou en pénombre sont d’une beauté à couper le souffle, alors que le jeu sur l’ambiance sonore est toujours d’une grande efficacité. On se rappellera longtemps de la scène où Brigitte Poupart, au volant de sa Mercedes, éteint le moteur pour faire jouer Doux de Marjo en plein cœur du village, question d’attirer à elle les morts-vivants qu’elle attend, machette en main. Non sans humour, toujours d’une grande maîtrise, le film nous enjoint à réfléchir longuement, tellement Aubert y invite le spectateur en ne dévoilant jamais tout. Loin d’un remède pour la grisaille novembre qui est à nos portes, Les affamés sera tout de même un moment jouissif du cinéma de cet automne.
crédit photos: Emmanuel Crombez / La maison de prod.