bang bang, chorégraphie et interprétation : Manuel Roque ; répétitions et conseil artistique : Sophie Corriveau et Lucie Vigneault ; dramaturgie : Peter James ; costumes et scénographie : Marilène Bastien; lumières : Marc Parent ; trame sonore : Manuel Roque. Un spectacle de Cie Manuel Roque présenté au Théâtre Prospero du 2 au 5 juin 2017.
///
Comment performer et disparaître à la fois ? Comment danser dans l’anonymat devant un public qui nous attend, nous épie ? Comment se perdre dans le mouvement ? Là se trouvent les questionnements qui sous-tendent la création de bang bang, nouveau solo du danseur et chorégraphe Manuel Roque. À voir la salle qu’il a choisi d’habiter, on se dit que c’est peut-être dans l’abandon complet face au regard qu’on peut finir par piéger et s’en soustraire.
Une scène vierge mais habillée d’une lumière crue. Seul un rythme sonore constant et puissant nous indique que tout commence. Après un certain temps, Manuel Roque prend place, vêtu d’un chandail sans manches, blanc. Il s’installe sur scène et dans le rythme, amorçant ce qui ressemble plus à des échauffements qu’à une réelle ouverture. Le mouvement, répété sur une longue période est d’abord anodin jusqu’à devenir un effort constant, puis un effort dérangeant, la sueur perlant sur le plancher. Lorsqu’il insère quelques variations dans le mouvement, chacune de celles-ci se retrouve sublimée, brisant la constance imposée.
Dancing on my own
Lorsque Roque finit par se déplacer sur scène, il saute, il sautille, jamais le mouvement ne cesse. Le rythme, lui, s’accentue, Roque le suit toujours, sans jamais y échapper, allant même, à la suite de l’échauffement, à nous livrer quelques déplacements qui ne sont pas sans rappeler la claquette : corps bien droit, bras tendus et pieds toujours en mouvement, créant pour lui-même une autre trame podorythmique. La chorégraphie, s’étalant sur un peu moins d’une heure, se déplie comme un lent crescendo où jamais l’effort ne cesse.
À un moment, le rythme se perd sous des grincements, puis le silence. Roque n’en démord pas, allant jusqu’à se murmurer une mélodie, murmures qui lentement se changeront en bruits gutturaux, une respiration rauque, quasi bestiale. Qu’arrive-t-il lorsqu’on devient soi-même la musique sur laquelle on danse ? Le danseur mêle ici les rôles, tentant de vérifier si le danseur-homme-orchestre pourrait être si présent que Manuel Roque, lui, ne serait plus.
À mi-parcours, les lumières vives laissent place à un éclairage en contre-jour pleins feux, découpant le danseur tout en aveuglant le public, alors que quelques notes de Chopin au piano occupent l’espace et le danseur. Puis, des lumières sur scène recouvrent le danseur de face, le triplant alors en ombre sur le mur : il est à la fois là, tout autant qu’il est déconstruit. Le mouvement se fait troupe, le haut du corps se joignant maintenant au déplacement ; bras levés, ce duo de lui et son ombre tente désormais d’occuper tout l’espace.
Derviches tourneurs
Puis, une fumée de glace sèche se met lentement à se rependre sur scène, Roque, lui, tourne sur lui-même, se déplace telle une toupie, un derviche tourneur qu’on perd et qu’on retrouve dans cette fumée de plus en plus présente. Vient un moment où la fumée elle-même représente la conséquence du mouvement, même si on ne voit plus Roque, on le sent tout de même bouger par le déplacement de la fumée dans l’espace. Il est à la fois présent et absent, le mouvement est là, le danseur, non.
Puis, un arrêt sur image. Manuel Roque cesse de bouger, dos à la foule, le corps à moitié dans un nuage, il fixe son œuvre, ce brouillard créé par ses déplacements. On y voit là un excellent tableau pour clore le spectacle, simple, mais d’une grande beauté, mais il n’empruntera pas le chemin de la facilité. L’immobilité en danse est l’équivalent du silence en théâtre, elle déstabilise, elle souligne l’action et sa conséquence. Avec une trame sonore mariant Chopin, Debussy, 2001 L’Odyssée de l’espace de Kubrick et Solaris de Tarkovsky, la proposition esthétique est des plus claires : un travail sur l’image où le corps est seul, sans danseur.
Il revient vers nous, toujours immobile, et toise son public. Partant ensuite du fond de la scène, il avancera vers nous, avec un éclairage en contre-jour, encore une fois, en sublimant chaque mouvement du haut du corps, ce qu’il a peu fait de tout le spectacle. Désarticulé, il fixe et avance, encore et toujours. Son chandail est détrempé. S’il était blanc avec quelques lignes noires au début de la représentation, chacune des lignes s’est transformée au contact de la sueur en taches de couleurs rouge, bleu et verte. L’homme devant nous n’est pas le même qu’à l’ouverture. Le Manuel Roque du début n’est pas le même qu’à la fin. Il a réussi. « I’m not there. This isn’t happening. »