Si rien n’a d’importance…

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26.09.2022

À cause du soleil. Texte d’Evelyne de la Chenelière, d’après l’œuvre d’Albert Camus. Mise en scène : Florent Siaud. Avec Mustapha Aramis, Sabri Attalah, Maxim Gaudette, Daniel Parent, Evelyne Rompré et Mounia Zahzam. Production du Théâtre Denise-Pelletier. Présentée au Théâtre Denise-Pelletier, du 21 septembre au 15 octobre 2022.

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Dans L’étranger, d’Albert Camus, Meursault expliquait son crime de la seule façon qu’il le pouvait, en disant : « C’est à cause du soleil. » C’est cette explication qui n’en est pas une, sinon celle du hasard de la vie, qui donne son titre à la pièce d’Evelyne de la Chenelière montée au Théâtre Denise-Pelletier. Mais si la dramaturge revisite l’histoire du meurtre commis par Meursault et de son procès dans l’Algérie française des années 1920, elle l’enchâsse dans l’histoire contemporaine de Medi, un Algérien ayant immigré à Montréal à l’âge de trois ans lorsque son père a été tué dans la guerre civile. Rappelant le narrateur de La chute, autre célèbre roman de Camus, Medi vit avec le poids de la culpabilité d’avoir ignoré un appel à l’aide, un soir de tempête hivernale; cependant c’est à la tentative de raisonnement de Meursault que fait écho sa supplication : « C’est à cause de la neige. »

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À cause du soleil, à cause de la neige

À cause du soleil s’ouvre sur une discussion téléphonique entre Medi (Mustapha Aramis) et sa copine, Camille (Mounia Zahzam), laquelle lui reproche d’avoir fermé les yeux sur la détresse et les appels à l’aide d’une personne ayant été retrouvée morte dans sa voiture le lendemain. Cette même scène sera jouée à nouveau plus tard, manière de conclusion au récit principal qui permet de redonner la parole à un Medi se débarrassant de la fatalité camusienne pour finalement trouver « le début de ce qui ressemble à une sorte de paix ». Entre les deux, les histoires de Medi et de Meursault (Maxim Gaudette) alterneront dans une pièce à la narrativité assumée au point que les scènes entre les personnages apparaissent comme des tableaux dans un récit.

Dans un décor des plus simples (un rideau perlé à l’arrière de la scène, surmonté d’une sorte de dôme en papier aluminium qui détonne dans la sobriété ambiante), Meursault et son entourage – Marie (Evelyne Rompré), Raymond (Daniel Parent), L’Arabe (Sabri Attalah) et le prêtre (aussi interprété par Daniel Parent) – remontent le fil des événements pour la cour de justice, que l’on ne verra et n’entendra jamais. Une dose d’humanité est ainsi réinjectée dans le roman de Camus, porté presque uniquement par le point de vue de Meursault et par la parole du système, distribuée entre l’avocat et le procureur. Ici, Raymond, Marie et L’Arabe ont tout l’espace du monologue pour exister et pour dire. Ces monologues constituent d’ailleurs, selon moi, les moments forts de la représentation. Les personnages de Raymond et du prêtre, pourtant les plus petits rôles dans la pièce, sont rendus mémorables par l’interprétation de Daniel Parent, d’une justesse et d’une entièreté admirables. De même, le témoignage de L’Arabe, qui n’aura jamais eu de voix de son vivant mais auquel Evelyne de la Chenelière permet de témoigner d’outre-tombe, pour lui-même mais aussi pour tous les étrangers /01 /01
Pour le plaisir de citer ce texte magnifique : « Je n’ai pas de prénom, pas de nom de famille, et pourtant ma famille n’a pas fini de crier mon nom en pleurant ma mort. Ce n’est pas pour rien qu’un étranger comme moi n’a pas de nom, surtout pas de nom propre. Les étrangers sont impersonnels, comme le vent, comme le sable, ils sont partout mais ils ne naissent pas et ne meurent pas, voyez-vous, ils sont entre la vie et le paysage […] » À cause du soleil a été publié aux éditions Les Herbes rouges en 2021.
, est livré avec toute la puissance de la restreinte par Sabri Attalah dans un moment chargé qui constitue l’apex de la pièce. Il faut aussi noter l’intelligence de la mise en scène minimaliste de Florent Siaud qui laisse toute la place à la parole, et dont les moments marqués (la scène de la danse dans le bar, entre autres) frappent d’autant plus.

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Si rien n’a d’importance, tout est important

La pièce d’Evelyne de la Chenelière est brillante : en télescopant et en renversant les histoires de Meursault et de Medi, en en faisant des contrepoints, c’est non seulement un regard actuel qui peut être posé sur les réflexions existentialistes camusiennes, mais ce sont des points aveugles qui peuvent être investis, des torts qui peuvent être réparés, des situations qui peuvent être complexifiées. Entre le consentement total et l’opposition totale au monde, un espace se creuse pour la pensée /02 /02
En complément de la pièce, le cahier d’automne 2022 du Théâtre Denise-Pelletier, disponible sur le site web de l’institution, présente un extrait de la correspondance entretenue par Evelyne de la Chenelière et Florent Siaud pendant l’écriture de la pièce. On peut y suivre les réflexions et les interrogations de la dramaturge par rapport aux enjeux soulevés par l’œuvre camusienne, leur actualité dans le contexte québécois contemporain, leurs limites et leurs zones d’ombre; mais aussi sur la manière de rendre tout cela dans la pièce. À lire en ligne : https://www.denise-pelletier.qc.ca/cahiers/cahier-dautomne-2022-numero-108/correspondance/.
. Ainsi, Marie acquiert une réflexion instruite et une vie intérieure, et son acceptation entière du meurtre Meursault est contrebalancée par le geste Camille, qui ne peut accepter ce qu’elle considère comme la responsabilité de Medi dans le décès de l’étrangère. Les conditions de l’étrangeté et de la culpabilité changent de visage : alors, un Arabe tué à coups de pistolet sur une plage; maintenant, une vieille femme anonyme morte de froid dans sa voiture ensevelie sous la neige, et un geste de secours qui n’a pas été porté. Une chose demeure: la contingence de l’existence. Néanmoins, en refermant l’histoire de Meursault et en remettant la conclusion à Medi, Evelyne de la Chenelière rassemble les deux extrémités en une phrase : « Si rien n’a d’importance, tout [est] important ».

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Pour le plaisir de citer ce texte magnifique : « Je n’ai pas de prénom, pas de nom de famille, et pourtant ma famille n’a pas fini de crier mon nom en pleurant ma mort. Ce n’est pas pour rien qu’un étranger comme moi n’a pas de nom, surtout pas de nom propre. Les étrangers sont impersonnels, comme le vent, comme le sable, ils sont partout mais ils ne naissent pas et ne meurent pas, voyez-vous, ils sont entre la vie et le paysage […] » À cause du soleil a été publié aux éditions Les Herbes rouges en 2021.
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En complément de la pièce, le cahier d’automne 2022 du Théâtre Denise-Pelletier, disponible sur le site web de l’institution, présente un extrait de la correspondance entretenue par Evelyne de la Chenelière et Florent Siaud pendant l’écriture de la pièce. On peut y suivre les réflexions et les interrogations de la dramaturge par rapport aux enjeux soulevés par l’œuvre camusienne, leur actualité dans le contexte québécois contemporain, leurs limites et leurs zones d’ombre; mais aussi sur la manière de rendre tout cela dans la pièce. À lire en ligne : https://www.denise-pelletier.qc.ca/cahiers/cahier-dautomne-2022-numero-108/correspondance/.

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