What will come; Chorégraphes et interprètes : Julia B. Laperrière, Sébastien Provencher; Compositeur et musicien :Bráulio Bandeira; Scénographe : Hannah Dougherty; Concepteur lumière : Nicola Dubois; Aide à la dramaturgie : Lynda Rahal; Conseillères artistiques : Christine Charles, Helen Simard; Conceptrice des costumes : Tricia Crivellaro; Conseiller sonore : Michel F Côté; Producteur délégué : Lorganisme. Présenté à Tangente du 2 au 5 décembre 2021.
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Sur un fond musical qui évoque le temps zéro de l’humanité, deux corps éclairés par un faisceau de lumière tentent de s’extraire d’une boîte. Durant cette longue scène de gestation, les membres contorsionnés émergent difficilement. Par leur déformation, ces corps sans tête semblent venus d’un outre-monde. Pour reprendre les termes des créateurs
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« Programme de soirée », What will come, en ligne, < https://tangentedanse.ca/julia-b-laperriere-sebastien-provencher/>.
, ils s’apparentent à des « astronautes ». Les boîtes, qui ressemblent quant à elles à des cercueils desquels on accouche, deviennent le symbole mortifère de la violence engendrée par le classement, le figement, la catégorisation – autant d’actions qui régissent les corps, empêchent le mouvement.
La naissance des corps est marquée par une transition brutale de l’éclairage. La scène s’illumine entièrement : apparaissent alors d’autres boîtes disposées en ordre de grandeur, un plancher en damier, des objets de formes carrée ou rectangulaire. C’est la froideur de la composition scénographique qui frappe d’emblée. Dans ce tableau expressionniste, il n’y a aucune courbe, aucun cercle, aucune rondeur; tout est carré, pointu, anguleux. Les costumes des interprètes (Julia B. Laperrière, Sébastien Provencher), comme les objets disposés sur la scène, sont noirs et blancs. Du tout émerge un monde carré, rigide, sans couleurs, sans nuances de gris – un monde où il n’y a rien d’indécidable, où il n’y a pas de fluidité.
Être mus
La première partie de la partition entre fortement en résonance avec cette composition scénographique. Les interprètes s’y meuvent de façon mécanique, se déplaçant par petits mouvements saccadés, autant de tropismes qui semblent prescrits par une entité extérieure régissant les corps. S’ils ont un caractère extraterrestre, les danseurs font peut-être encore davantage penser à des personnages de jeu vidéo, tant leurs mouvements ressemblent à ceux d’un avatar numérique, à la manière des personnages de Sim’s.
La dimension critique de l’œuvre prend forme dans ces séquences où les danseurs exécutent des mouvements frénétiques, dans une circularité obsédante – vider une boîte, la remplir, la vider, la remplir, etc.-, qui mime notre compulsion de rangement, de classement, d’ordination du monde. La proposition réussit, par ces mouvements répétitifs, à surligner le caractère absurde de cette entreprise de catégorisation. Plusieurs séquences font même rire, tant elles apparaissent vides de sens, robotiques.
La transition vers la deuxième partie de la création s’opère par une rupture musicale, qui annonce une révolte. Une musique metal appuie cette mutation qui s’opère chez les danseurs au moment où ils tentent de se réapproprier leur corps. Contre cette propension à la rection des corps, les danseurs se libèrent, avec plus d’agressivité, d’amplitude, de fluidité. Émergent alors des mouvements moins mécaniques, plus ronds : Sébastien Provencher effectue des mouvements concentriques avec une corde, alors que Julia B. Laperrière roule sur elle-même. Si les deux interprètent exécutaient les mêmes séquences de mouvement dans la première partie, il s’opère ici une différenciation, comme si chacun parvenait enfin à exécuter sa propre trajectoire, à trouver son idiorythmie.
Se mouvoir
De nouveaux objets apparaissent également sur la scène, alors qu’on ouvre les boîtes, dans lesquelles se trouvent des petites balles de mousse colorées. Le décor prend aussitôt une dimension plus ludique, festive, impression accentuée par l’éclairage qui se réchauffe progressivement, passant du bleu au rose, du rouge au mauve. Il faut souligner la qualité visuelle du spectacle, puisque la force de la production se situe en effet au niveau de la scénographie, qui produit un dialogue entre les interprètes et le monde physique se transformant autour d’eux. C’est d’ailleurs un des moteurs de création de Julia B. Laperrière, qui est intéressée depuis longtemps par la relation entre les pratiques de la danse et de l’installation.
La composition emprunte une trajectoire cyclique et s’achève dans une scène finale très lente qui évoque le crépuscule de l’humanité. De la même manière que la scène de genèse inaugurale, la partition replace les danseurs dans leur nudité, dans une longue séquence d’agonie, où les corps ralentissent, évoquant le retour vers l’inorganique – corps, qui, au retour vers l’origine, sont désormais libérés, dé-boîtés.
Si la danse contemporaine a parfois une dimension ésotérique, What will come n’a toutefois rien d’abscons. Il y a réellement quelque chose qui passe de la partition au spectateur, une question qui est lancée au public à travers cette allégorie. L’œuvre parvient en effet à interroger notre propension à faire entrer les corps, les identités, dans des cases. C’est un éloge à la réappropriation de son corps, de son geste, de son rythme propre; une métaphore sur notre inclination à être mus, plutôt qu’à se mouvoir.
crédits photos : Vanessa Fortin, Denis Martin, Sandra Lynn Bélanger