Une brève histoire de la gauche politique au Québec, François Saillant, Montréal, Écosociété, 2020, 272 p.
///
François Saillant connait bien les milieux de l’action communautaire et de la politique pour y avoir abondamment baigné durant les quarante dernières années. Vers la fin de la décennie 1970, il a milité au sein d’En lutte !, un groupe d’obédience marxiste-léniniste. Il a longtemps été coordonnateur et porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), avant de cofonder en 2004, avec Françoise David, le mouvement Option citoyenne. Cette trajectoire de militant l’inclinait naturellement à s’intéresser aux transformations de la gauche telles qu’elles ont eu lieu entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui.
C’est du moins l’ambition qu’il se donne dans Une brève histoire de la gauche politique au Québec, parue en septembre dernier aux éditions Écosociété. Le point de départ de son essai était pourtant tout autre, l’auteur souhaitant d’abord remonter aux origines de Québec solidaire, en se fixant comme limite chronologique inférieure le début des années 1980. Les aléas de la recherche l’ont conduit à adopter d’autres options. Le jeu des origines est en effet sans fin, puisqu’en matière d’idées, il n’existe pas de commencement absolu. Saillant a néanmoins tranché en faveur de l’année 1880 et de la naissance des premiers mouvements de défense des travailleurs. Il a aussi choisi de s’en tenir aux formations et partis actifs sur la scène électorale, ce qui exclut d’office les courants historiquement réfractaires à la joute parlementaire, tels que libertaires et partisans de l’action directe.
Racines profondes
Qu’elles remontent ou non (ce qui est probable) à 1880, les incarnations de la gauche s’ancrent dans une tradition ancienne au Québec. Puisqu’il faut choisir, ce sont donc les Chevaliers du travail qui ouvrent la synthèse, pionniers de l’action politique ouvrière à une époque d’urbanisation galopante et d’industrialisation accrue. L’Ordre contribue à la création de syndicats avec lesquels il s’affilie pour présenter des candidats indépendants aux élections, dont le premier élu est Alphonse-Télesphore Lépine (1888), typographe de métier. Le survol de cette période, comme celui des avancées sociopolitiques du communisme et du syndicalisme au chapitre suivant, se fait à tire-d’aile. Près de 80 ans (1880-1959) d’histoire sont ramassés en quelques quarante pages ponctuées d’arrêts sur les figures importantes (Léa Roback, Fred Rose, Thérèse Casgrain) d’une gauche en train de s’implanter durablement et dont les acquis, pour timides qu’ils passent, n’en demeurent pas moins cruciaux.
L’intérêt de Saillant pour le contemporain se fait sentir dans la ventilation historique qu’il choisit par la suite. De 1960 à 2000, les chapitres adoptent la périodisation décennale pour aborder plus longuement les enjeux de la décolonisation, de l’indépendance, de la lutte des classes, du marxisme-léninisme ou (rapidement) du féminisme. Avant le référendum, un intense bouillonnement anime les divers partis et mouvements de gauche, tandis que plusieurs d’entre eux subissent un recul ou tombent carrément en déshérence par la suite : le mouvement syndical est ralenti par des pertes d’emplois massives; le groupe marxiste-léniniste En lutte ! et le Parti communiste ouvrier se dissolvent, alors que certaines organisations d’extrême gauche sont battues en brèche par des femmes qui s’y disent victimes d’oppressions. Des initiatives éphémères comme le Mouvement socialiste (MS) ou le Regroupement pour le socialisme (RPS) échouent quant à elles à s’inscrire dans la durée. Les années 1990, pour les résumer trop rondement, seront pour une bonne part consacrées à redéfinir l’héritage commun de la gauche, sur lequel s’entendre et bâtir.
Pour une gauche solidaire
De ce riche portrait d’ensemble dont l’aboutissement logique est le triomphe aux urnes de Québec solidaire en 2018 – avec 16,1 % des suffrages – se dégage surtout une longue suite de querelles et divisions internes qui ont, à travers les ans, miné l’unité de la gauche jusqu’à l’affaiblir considérablement. Pierre Bourgault, lorsqu’il remet sa démission au RIN, évoque par exemple la « petite anarchie » qui règne au sein du parti et de son aile plus radicale. Le bilan de Pierre Dostie, quant à la faillite du Rassemblement pour une alternative politique (RAP), dans les années 1990, se lit également comme un aveu d’impuissance. Il y qualifie la tentative d’unification de la gauche de « véritable torture par moments devant les groupuscules qui se faisaient la guerre, repoussant presque simultanément les personnes qui y adhéraient ». À gauche plus encore qu’à droite, il semble que les dissensions soient légion et confinent à l’inaction.
Apparu comme une oasis après la traversée du désert, Québec solidaire s’abreuve au contraire à une « grande soif d’unité », pour reprendre le titre du septième chapitre de l’ouvrage. Né en 2006 de la fusion d’Option citoyenne avec l’Union des forces progressistes – cette dernière résultant elle-même d’une coalition entre le Parti de la démocratie socialiste (PDS), le Parti communiste du Québec (PCQ) et le RAP –, QS propose une contrepartie résolument altermondialiste à la vision néolibérale d’un Québec « lucide » développée par Lucien Bouchard, Joseph Facal, André Pratte et consorts dans un manifeste fort médiatisé. Plus tard (2017) se joindront à lui l’Option nationale et son chef, Sol Zanetti.
Saillant, ce n’est pas innocent, milite au sein de Québec solidaire depuis les premières heures. Cela explique pourquoi tout y converge et pourquoi, en conclusion, au lieu d’offrir un retour en bonne et due forme sur le parcours auquel il nous a convié pendant près de deux cent cinquante pages, il se livre à un éloge senti du parti en question et se penche sur les raisons du succès de ce projet, selon lui, fédérateur entre tous. L’occasion aurait pourtant été belle d’élargir le point de vue vers des horizons que QS n’occulte pas de sa présence, plutôt que de le concentrer sur ce qui, déjà, a retenu l’auteur pendant la plus généreuse portion de son essai. Pour le reste, son panorama fournit de précieux jalons aux métamorphoses parfois mouvementées de la gauche électorale québécoise. Il se lit d’ailleurs comme une invitation à creuser davantage l’un ou l’autre des nombreux aspects intéressants qui y sont développés.