Il pleuvait des oiseaux, Louise Archambault, Les Films Outsiders, 2019, 127 minutes.
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Sans le vouloir, Louise Archambault s’est fait attendre : depuis cette Gabrielle maintes fois auréolée, ambassadrice canadienne aux Oscars en 2013, six ans se sont écoulés. Heureusement, ce silence, que la concernée qualifie d’involontaire, attribuable aux aléas inhérents à une industrie où l’argent ne suit pas forcément les impulsions créatrices, se solde aujourd’hui par la sortie coup sur coup de deux métrages, Il pleuvait des oiseaux, présentement en salle, et la comédie Merci pour tout, qui devrait prendre l’affiche d’ici la fin de l’année.
Adapté du roman à succès de Jocelyne Saucier, paru en 2011 aux éditions XYZ, le film a comme point de départ un poncif du cinéma du troisième âge, c’est-à-dire l’ermitage d’une bande de pépères excentriques, ayant abandonné nos tristes collectivités au profit d’un autarcique retour à la terre pour ainsi dire littéral, puisqu’une fosse, excavation magnifiquement concrète, les attend au détour. Elle accueillera rapidement d’ailleurs Boychuck (Kenneth Welsch), peintre dont les tableaux décrivant des scènes de grands brasiers serviront de clef de voûte à une enquête menée par une photographe (Ève Landry) qui s’immiscera dans la vie du duo laissé dans le deuil, Tom (Rémy Girard), folkeux à la guitare désaccordée et au coude léger, et Charlie (Gilbert Sicotte), être brisé avare de paroles et miraculé d’un cancer.
Cette jeune enquêteuse, serpentant en voiture sur les rangs et avenues de cette région reculée du nord-ouest du Québec afin d’immortaliser les témoins et survivants d’un important feu de forêt, ne sera pas la seule femme à venir troubler la tranquillité chancelante de nos deux amis. Une octogénaire (Andrée Lachapelle), échappée d’un institut psychiatrique où elle a passé le plus clair de sa vie, ira trouver refuge dans la cabane qu’a laissée vacante Boychuck, avec la complicité d’un neveu (Éric Robidoux) qui amène vivres, cigarettes et alcool aux misanthropes. Hébétée par des années de médicamentation, prise parfois de soubresauts de conscience, cette intruse éveillera la curiosité de Charlie, se surprenant au contact de cette dernière à reprendre goût à une vie commune.
Gériatrique blues
Il pleuvait des oiseaux fait avant tout la démonstration du talent de trois comédiens dont la réputation n’est plus à faire. Lachapelle est particulièrement saisissante de fragilité et d’abandon dans ce rôle (son dernier selon ses dires) alliant sagesse immémoriale et naïveté propre à l’enfance. Sicotte, dont le visage eastwoodien devient, sous la caméra d’Archambault, un territoire insondable nous rappelant qu’il a toujours été l’un des meilleurs comédiens de sa génération, ajoute à sa filmographie un personnage complexe, tendre et trouble. Girard, laissé quelque peu en retrait, tire son épingle du jeu lors de scènes où il interprète au chant des pièces de Tom Waits, Richard Desjardins et Leonard Cohen, bien que sa présence nous apparaisse quelque peu décorative.
Au rayon des seconds rôles, beaucoup a déjà été dit par la critique au sujet du duo Landry et Robidoux, trentenaires dont l’idylle échafaudée ne parviendrait pas à convaincre, alors que c’est son aspect non abouti qui fascine, servant de contrepied à la relation centrale au film. Incapables de transcender un intérêt superficiel pour le cinéma de genre (une scène assez drôle implique le Naked Lunch de David Cronenberg), ils sont les porte-étendard d’une génération qui considère le couple avec scepticisme.
Que reste-t-il, passé les performances et les décors féériques, ce lac où Marie-Desneige (voilà comment se rebaptise cette femme qui réapprend à vivre) et Charlie iront se baigner à l’abri du monde ? Un récit certes conventionnel et une mise en scène faisant les frais d’un lieu où la caméra se voit contrainte de zigzaguer entre les arbres et d’utiliser des lentilles conférant à l’image une étrange distorsion. Mais le plaisir demeure, entre autres celui d’enfin voir autre chose que des adolescents sur nos écrans, après une série de récits initiatiques d’excellente facture (Une colonie, Jeune Juliette, Kuessipan, Vivre à 100 miles à l’heure) qui commencent néanmoins à trahir une difficulté chez certains cinéastes à traiter frontalement de ce qui se passe de l’autre côté de la puberté.
Épilogue
Au sortir de la projection du film, présenté en ouverture de la 8e édition du Festival de cinéma de la ville de Québec, le pas léger je suis allé prendre un verre dans un bar du quartier Saint-Jean-Baptiste. Alors que je sirotais ma rousse en silence, réfléchissant à Tom, Charlie et Marie-Desneige, à leur souveraineté, à leur dignité tant dans la vie que dans la mort, de jeunes vingtenaires, beaux et insouciants, ou plutôt beaux de par leur insouciance, s’époumonaient en formule karaoké sur la chanson Let It Go du film de Disney Frozen. Laisser aller. En retrait, les regardant crier, rire et tituber, je me suis surpris à penser que vieillir, si c’est pour aller se terrer dans une forêt entre amis ou pour faire de la confiture de cerises avec la femme qu’on aime, c’est peut-être pas si moche que ça.