Pas de tombeau pour les lieux, auteure : Judy Quinn ; direction : Rémy Bélanger de Beauport ; musiciens : Tristan Alantar (violoncelle, sitar), Line Belzile (tambour, voix), Denise Bergeron (tambour, voix), Pier-Luc Boivin (violon), Raymond Carruthers (trombone), Dan Dee (électroniques, échantillonneur), Sébastien Delorme (guitare), Martin Desjardins (sax), Flavie Dufour Plamondon (voix, accordéon), Nastasia Ganon (guitare), Raphael Guay (percussions, sirène), Baptiste Guillemin (guitare), Dan Hill (tuba), Jean Laflamme (sax soprano), Pascal Landry (guitare) et Marie-Christine Roy (violon). Une présentation de l’EMIQ avec le soutien de Productions Rhizome, au Tam Tam Café du Centre Jacques Cartier (Québec) le 12 avril 2018.
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Jouer des dessins et de la poésie
Sous l’égide de Rémy Bélanger de Beauport, initiateur de ce qui est aujourd’hui le plus grand ensemble de musique improvisée au pays, près d’une vingtaine de musiciens ont accompagné l’imparable Judy Quinn dans la lecture de son dernier recueil Pas de tombeau pour les lieux (Éditions du Noroît, 2017). Déjà, en décembre 2017, l’Ensemble de musiques improvisées de Québec (EMIQ) nous avait séduit en prenant les dessins aux pastels et aux graphites du compositeur Simon Henry pour partition. C’est heureusement au sein d’une salle dont l’acoustique est moins désastreuse que celle du centre La Chambre Blanche que la formation s’est manifestée à nouveau le 12 avril dernier. Il faut souligner la qualité extraordinaire du son entendu, que l’on doit au changement de lieu mais également au technicien attentionné à la console et aux musiciens dont le jeu, appuyé sur une écoute assidue, crée de l’espace là où d’autres l’aurait saturé.
La petite scène était pleine, compactée d’instruments et de corps. La poète se tenait sur le bord, entre une caisse de son et une panoplie de cordes et de percussions. Derrière, saxophones et tuba patientaient et joignaient leur souffle à la voix fragile de la poète. Sa voix douce, posée un peu en dehors du microphone, projetait des images fortes mais, en terme de densité sonore, portait peu. Et pourtant, c’était phénoménal, on l’entendait très bien. Il faut dire que, même – et peut-être parce que – excentrée de la scène, Judy Quinn a une présence forte et désirée, elle dépose ses phrases plus qu’elle n’élève la voix. La profondeur de son regard attire l’attention et captive, sa poésie de l’intérieur, contemplative et mesurée, enjôle. Portée par une trame musicale constamment en tension et mouvante, ses mots racontent des bribes d’histoires, des tragédies quotidiennes. Ils nous révèlent une mythologie de notre temps : « dans le décor du passé / comme dans The Twilight Zone / sauf que les héros / se réveillent à midi quarante pile / dans le futur ».
Aux extrêmes du recueil
Dans la poésie de Judy Quinn, les lumières de la ville rivalisent avec celle de la nuit et les étoiles tombent du ciel pour devenir faisceaux cathodiques ou phares de voiture. La branche se casse mais l’arbre demeure arbre : « il est des lieux où l’on n’entre jamais / mais dont on sort nu / comme si l’arbre avait perdu l’oiseau qu’il devait être ». Le recueil Pas de tombeau pour les lieux et la performance éponyme déployée par l’EMIQ sont bordée par des illustrations réalisées par Anna Quinn, la fille de l’auteure. Les abstractions évoquent tantôt une topographie de banlieue beige balafrée de routes, tantôt un gisant – arbre ou grand gibier – sur lequel se dépose la nuit. Ces images répondent à l’introduction et la finale du recueil où « L’orignal traverse l’autoroute 20 à l’aube / puis la bande de forêt fermant au sud l’ensemble / résidentiel une fois sur la rue Alain-Grandbois », puis « après le raccordement de la rue au boulevard / Kennedy des voitures étrangères sont venues / en sens contraire sur Nelligan-Émile, XF-Garneau / Grandbois-Alain à ce moment là la fille / était déjà partie de son enfance et les gens / en général ne se souciaient plus / du nom des choses tant qu’il y avait / de l’essence à mettre dans leurs chars. » Dans la poésie de Judy Quinn, les lieux sont des passages assassins, les lieux ont des noms qui n’en sont plus, les noms sont des tombeaux errants.