Vincent Brault, La chair de Clémentine, Héliotrope, 2017, 168 pages.
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Vincent Brault signe cet automne son deuxième roman, un récit flirtant avec le fantastique et l’enquête, qui séduira surtout par la force d’évocation de ses images étranges et poétiques.
Gustave, le protagoniste, est un enfant différent. Certains diraient même qu’il est inquiétant. Il se retrouve mêlé à de bizarres histoires de morts d’enfant: la petite, Rose dans sa salle de classe, la petite Charlotte, dans la rue. Chaque fois, les services d’urgence retrouvent l’enfant mort, mais serein, entre les bras d’un Gustave dont les muscles semblent s’être rigidifiés en cette ultime étreinte.
Le réalisme magique nous fait pénétrer par petites touches successives dans un univers glacé. Tandis que le thermomètre plonge vers le négatif (les chapitres sont numérotés en Celsius, toujours sous zéro), Gustave se rapproche de sa vérité.
Aimer la mort
Gustave n’a rien contre les vivants, c’est simplement qu’il aime particulièrement les mourants, comme il aime le froid, d’ailleurs. Les évocations de la mort sont parmi les scènes les plus réussies du roman: à la fois mystérieuses, poétiques, étrangement esthétiques, elles provoquent une certaine fascination morbide en raison de l’attitude du jeune homme. C’est dans le plus grand calme qu’il approche les accidents inexpliqués et les situations violentes.
« La petite Rose s’est mise à blanchir. On aurait dit qu’on lui avait fendu le nombril et que tout le sang de son corps s’écoulait par le trou. Une grosse flaque rouge s’est formée en un rien de temps sous sa chaise et le professeur a cru, sans réfléchir, que Rose avait ses premières règles. Mais la flaque grandissait et grandissait. […] Gustave, lui, serrait toujours Rose dans ses bras, ou bien c’était Rose qui serrait Gustave… c’était difficile à dire, le sang commençait à se coaguler, formant une croûte noirâtre qui figeait leur étreinte. »
Le jeune garçon n’est ni un vampire ni un zombie. Comme certains de ses comportements évoquent l’une ou l’autre de ces créatures, il fraie avec nos peurs séculaires. C’est pourquoi l’enquêteur Marcel s’inquiète de la présence de Gustave sur les lieux de ces étranges décès. À peine sorti de l’enfance, Gustave est retrouvé près du cadavre de son superviseur, mort dans son bureau. L’enquêteur décide alors d’approfondir la question. À moins que les vraies raisons le poussant à poursuivre le jeune homme soient moins nettes?
La fable que nous propose Vincent Brault jongle avec notre rapport de répulsion et d’attraction avec la mort, cette dernière se révélant, au fil du récit, source de vie.
Résoudre le mystère
Mais Gustave le comprendra-t-il? Il ne vit pas facilement avec cette attirance pour la mort qu’il ne s’explique pas. Tout cela a-t-il commencé dans l’enfance, alors que le bambin prend une outarde blessée dans ses bras, devenant une sorte de passeur accompagnant les vivants vers le trépas? Humains ou animaux, la situation reste la même. Ainsi de ces bestioles qui envahissent sa maison par un trou dans le plancher, franchissant les étages et les obstacles, « tout ça dans le but de mourir en compagnie de Gustave comme s’il n’y avait pas meilleur endroit au monde où soupirer une dernière fois. » La présence de toute cette vermine chez lui provoque la rencontre entre Gustave et Françoise, une exterminatrice qui l’accompagnera dans son enquête pour comprendre d’où lui vient son étrange penchant.
Mais ce n’est pas dans la trame de l’enquête que le récit est le plus convaincant. Certains dialogues brisent le rythme onirique qui fait la force du récit et des découvertes faites par l’enquêteur semblent également un peu plaquées. Il apparaît rapidement que c’est Florent, le père de Gustave, qui cache quelque chose – et nous ne gâcherons sans doute le plaisir de personne en l’écrivant. Ce n’est pas en cherchant les motifs ou la cohérence des personnages que le lecteur prendra son plaisir. La révélation finale s’avère puissante au plan littéraire bien plus qu’au plan psychologique. L’image, terrible et magique, étrange et pourtant familière, s’imprime en nous au croisement entre l’humanité, l’animalité et la monstruosité.
Gustave est un personnage bizarroïde, une sorte de légende sortie tout droit du blizzard, rappelant l’univers de Tim Burton en certains aspects. Le récit évoque bien ce flou particulier de la tempête et des grands froids, quand notre regard ne peut plus prendre la pleine mesure des éléments. Les yeux plissés, mais le cœur étrangement rassuré, le lecteur suit l’étonnant jeune homme dans sa quête. Il nous rappelle que pour bien comprendre qui l’on est, il faut parfois faire un détour pour découvrir ce qui nous manque.