Dansu : Alphard de Mikiko Kawamura ; Amigrecta de Kaori Seki ; Namae Ga Nai de Zan Yamashita ; ciné-danse, deux programmes de films et vidéos de Saburo Teshigawara. Présenté par L’Agora de la danse et Tangente à l’édifice Wilder, 18 au 28 octobre 2017.
///
Les rendez-vous épars entre le Japon et Montréal – en 2000, 2003, 2008, 2011, 2016 – ont permis que Saburo Teshigawara et Kim Itoh transitent entre ces deux mondes. Chaque génération de créateurs fait à son tour la preuve de ses grandes capacités d’absorption. Retour sur l’événement Dansu.
« Le nomadisme me poursuit au bout du monde », écrivait le romancier Éric Faye, en résidence d’écriture au Japon. « There is no form », peut-on lire sur un écran scénique du Wilder, célébrant l’imprévu du corps dansant. Familier avec l’informe, Kim Itoh dit de ses gestes insaisissables qu’ils sont sans mots. L’échelle s’adresse à l’artiste, habillé en travailleur de chantier : « Qui es-tu ? Que fais-tu ? Quel est ton métier ? » Le dialogue incongru, chorégraphié par Zan Yamashita, se poursuit : « Je danse. (…) Mais je ne sais pas ce que je fais. (…) Tout ça vague (…) ça flotte, le fluide lymphatique. La lymphe est incompréhensible. Je danse comme la lymphe. Comme un appendice.» Ainsi Kim Itoh livre-t-il sa performance, Namae Ga Nai (littéralement, Pas de nom).
Orage destructeur, volcan en éruption ou explosion nucléaire, ces artistes japonais expriment leur fort ressenti face à la nature. Philippe Forest commente des photos d’Hiroshima ainsi : « Face à un tel spectacle, l’individu qui l’observe perd la conscience d’être, mais l’expérience d’un tel anéantissement lui rend aussi le monde dont il jouit mystérieusement, éprouvant dans une sorte de vertige immobile l’émerveillement d’être pourtant vivant, rendu au grand rien fabuleux qui est le vrai. » (Araki enfin). L’esprit de Dansu s’éclaire ainsi.
La force du présent
Qu’ont en commun les deux chorégraphies parfaites, la performance et les films très esthétiques (œuvres remontant à 1993) de Dansu ? La vitesse vertigineuse aux limites de la perception chez Mikiko Kawamura, la caresse des sensations nimbées d’olfaction chez Kaori Seki ou le sens du vide et de l’absurde chez Zan Yamashita déclinent trois modes jouissifs d’être au monde. La commissaire de l’événement Dansu, Diane Boucher, précise en entretien : « Ces artistes japonais ont trouvé leur marque. Ils ont laissé le butô aux maîtres. Ils n’imitent rien. Il y a maintenant des ruptures, des œuvres sûres au Japon. » En effet, chaque artiste donne à voir la beauté de son innocence, perfection scénique où un espace de rêve est préservé. Mikiki Kawamura, avec son Japon survolté, dominé par la consommation effrénée des corps et par son étrange culte des poupées, nous présente l’hypermodernité. Kaori Seki, avec ses jets d’odeurs parfumées, fait serpenter cinq interprètes androgynes, qui s’enroulent en s’engouffrant dans des trous de la scène. Nature et métaphysique font lit commun.
Transculture
Dans La Montagne radieuse, le nouvelliste Genyû Sôkyû s’interroge sur la décontamination des sols depuis l’accident de Fukushima. Peut-on « accommoder » la vie et la mort en les entrelaçant pour conjurer l’angoisse ? Dans un essai aussi personnel que savant, la philosophe québécoise Jacynthe Tremblay expose la pensée du philosophe japonais Nishida Kitaro (1870-1945). Or, ce Je suis un lieu (PUM, 2016) ne nous est pas si éloigné. Elle y décrit « […] l’absolu, le concret, la réalité véritable, l’auto-éveil, l’auto-identité contradictoire, le néant, l’individu, la monade », d’après Nishida. Ces concepts imprègnent ce que nous avons vu lors de cette précieuse programmation : le lieu d’un Japon dont nous nous sentons partie prenante à l’instant.
crédit photos : ST Spot, Domino Perforations Festival Croatia et GO