Telemetry, direction artistique et chorégraphie de Shay Kuebler ; interprètes : Maxine Chadburn, Shay Kuebler, Tyler Layton Olson, Nicholas Lydiate, Lexi Vajda et Danny Nielsen ; conception sonore : Shay Kuebler ; conception vidéo : Eric Chad ; conception des lumières : Craig Alfredson et Shay Kuebler ; extraits sonores : BadBadNotGood et Floating Points. Une production de Radical System Art, présentée par Danse Danse à la Cinquième salle de la Place des Arts (Montréal) du 18 au 22 avril 2017.
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Tous les spectacles de danse ne peuvent pas être d’avant-garde ni époustouflants d’invention. Ce qu’on aimerait aimer aurait de l’imagination, du rythme, de la finition, une forme de dramaturgie inédite et de déroulement dont le corps soit l’âme et dont l’âme s’incarne dans le détail comme dans l’ensemble. Il y aurait une idée scénique, un événement de corps, une présence qui perce l’espace et souligne l’instant. Il nous viendrait une idée, une émotion, un sentiment, un tremblement communicatif sous l’effet de la performance singulière. Le geste d’écriture critique tremperait dans ce ressourcement. Il y aurait absolument eu un acte artistique.
C’est tout cela qui manque à Telemetry de Shay Kuebler. Reposant sur la répétition lancinante d’un martèlement de claquettes, accompagnant des traversées de scène rapides mais anarchiques et formatées à saturation, cette pièce est un exercice qui peine à trouver sa marque, son souffle authentique, sa nécessité organique et viscérale. La piste ronde où les danseurs s’ébattent restera visitée comme s’il s’agissait d’une ébauche de travail en studio.
Qu’on ne lui reproche ni sa cavalcade, ni ses nombreux sauts périlleux, ni sa cascade de saltos, ni son ambiance d’ombre se posant sur des corps pliés, cassés, ni son côté street art, mais plutôt le fait que l’ensemble ne nous fournisse qu’au terme d’un long échauffement cet air de danse vraiment habité qui fait la différence avec l’application. Et que dire de la composition sonore qui enferme le tout dans sa médiocrité. Telle est l’impression qui se dégage de cette chorégraphie, ou plutôt de ses manques, dans Telemetry.
Une réussite mitigée
Il y a bien du plaisir, de l’envol, des tracés, des roulades, des flips arrière, de la gymnastique, des variations sur le thème acrobatique ; il y a par ci et là des harmoniques physiques, très vite perdues ; il y a des spots qui réagissent aux talons frappés en cadence ; il y a des rais qui font au sol des formes géométriques de jardin français ; il a d’habiles interprètes, qui savent se désarticuler, se plier et se déployer, se jeter au sol, et Shay Kuebler en est le plus vif, avec d’intéressantes torsions du corps entier, qu’on entrevoit à la toute fin du spectacle.
Hormis quelques figures de prouesse, faisant appel à l’équilibre sur des appuis renversés, la pièce ne réussit pourtant pas à communiquer ce que la télémétrie est supposée faire, à savoir coordonner et lire des systèmes de données. C’est pourtant un bon point de Telemetry, vouloir évoquer les réseaux qui nous entourent et agissent sur notre organisation sociale et sur nos gestes quotidiens, dont les corps sont aussi traversés. Mais l’intention reste en germe.
Radical System Art, la compagnie de Kuebler, se veut un lieu d’expérience. Ce qui avait secoué les Grands Ballet Canadiens en 2008, dans l’expérience plus modeste de Contrapasso présentée à L’Agora de la danse, est évidé de son impact rendu alors possible dans une forme brève. L’ambition du projet se décale ici du résultat, qui rate la visée de mettre les corps en correspondance avec leur mémoire sensorielle, à l’image des systèmes automatisés qui traitent les données informatiques en les redistribuant selon les besoins.
L’audace n’est pas toujours récompensée en création. Une performance exécutée ne suffit pas à faire l’art. Kuebler propose des formes inabouties, délayées à même la vitesse, pas une chorégraphie. Mais il faut louer ces artistes en début de carrière et ces producteurs chevronnés qui nous présentent avec confiance des avenues que la danse, ici canadienne, va continuer d’explorer.
crédit photos : David Cooper