« Worlds Collide », Canada : The Story Of Us, produit par Julie Bristow, Bristow Global Media, 44 min.
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La CBC lançait récemment en grande pompe sa toute nouvelle série historique Canada : The Story Of Us dans le cadre des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération. Le pari des créateurs de la série était, bien sûr, perdu d’avance. Comment produire un récit du Canada rassembleur alors que les communautés qui le constituent ne s’entendent déjà pas sur le sens à donner à l’histoire ? Ce que nous avons vu, avec le premier épisode diffusé le 26 mars dernier, est cependant pire que ce à quoi nous aurions pu nous attendre tant le discours de la série est centré sur une histoire approximative pilotée par la majorité anglophone.
On ne peut imaginer d’entrée en matière plus grandiloquente que celle de Canada: The Story Of Us avec ce gros plan du visage de Justin Trudeau qui convie les Canadiens à revenir sur les aspects les plus difficiles de leur histoire pour renouveler leur sens de la communauté. Ces aspects difficiles seront rapidement mis de côté par la suite dans l’infopub nationale de CBC.Une tentative de bien faire
Les quelques moments consacrés aux Autochtones laissent d’abord présager un travail de mémoire qui remettrait les Premières Nations au centre de la diégèse historique. Peine perdue, même s’il est possible de saluer la volonté d’inclure des intervenants autochtones, le peu de temps qui leur est consacré frise le ridicule. En fait, le premier épisode des dix est consacré aux Premières Nations et au Régime français, soit quelque 12 000 ans d’histoire compressés en 45 minutes de télévision, et qui semblent pointer vers le fait que les 200 années qui suivront sont les plus importantes aux yeux de la réalisation.
Pire, l’intervention de Joseph Boyden, critiqué dans les derniers mois pour avoir menti à propos de son identité autochtone, vient ajouter une couche de ridicule à l’entreprise. Dès que l’on gratte la peinture de cette auto-représentation, il est facile de se rendre compte que les Autochtones ne tirent aucune des ficelles du récit, allant même jusqu’à être remplacés par un faux représentant sans trop de problème.
Pire pour les Français
Pour ce qui est des francophones, la réalisation ne semble même pas avoir daigné faire semblant de leur donner la parole. Les seuls intervenants du Québec sont Louise Lecavalier (qu’on adore, mais dont on ne comprend pas trop le rôle ici) et Georges St-Pierre qui, dans un étrange moment de télévision, nous explique l’art du combat pour illustrer la bataille des Plaines d’Abraham.Quant à la représentation symbolique des francophones, force est d’admettre qu’elle ne brille pas par sa vivacité. On nous représente un Champlain en latin lover toujours sale, magouilleur et ténébreux, un administrateur presque digne d’un reportage de Maclean’s. La scène des tractations avec les Wendat au début des guerres iroquoiennes est à se rouler par terre tant la chemise de Champlain est couverte de cambouis. À l’époque, la diplomatie ne s’encombrait pas de vêtements propres.
Ce serait déjà suffisant si, en plus, les acteurs choisis pour jouer les francophones n’étaient la plupart du temps des anglophones ayant difficilement appris leurs lignes. La langue ponctuée d’erreurs grammaticales des figurants (« on va révolter », « avez-vous de la propriété ? », Montcalm qui crache ses dernières phrases avec son plus bel accent d’Edmonton…) ne fait que gêner davantage une entreprise à laquelle les quelques millions de francophones du pays n’étaient manifestement pas conviés.Traîtres français, héros anglais
Après le passage sur Champlain, la réalisation se dirige vers un segment particulièrement ridicule montrant l’expédition de Radisson et de Des Groseilliers. Personnages fascinants, ces deux voyageurs ayant choisi de trahir la France pour fonder la Compagnie de la Baie d’Hudson sont représentés en train de rencontrer les autorités anglaises à Londres comme des barbares entièrement vêtus de fourrures.
Qu’on choisisse une histoire de trahison est déjà discutable étant donné que les Français représentés ne brillent pas exactement par leur vertu, mais le contraste est d’autant plus fort quand arrive – ellipse d’un siècle de la série – la force d’invasion du général Wolfe. Alors que les Français étaient montrés comme sales et moralement douteux, c’est à un général Wolfe tout propre et tiré à quatre épingles auquel nous avons droit. Le dur climat de la colonie ne semble pas affecter de la même manière l’Anglais raisonnable au sang-froid et le latin misérable et vicieux.
Peu après, c’est d’ailleurs grâce aux astuces du général Wolfe que les Anglais peuvent gagner sur les Plaines d’Abraham. Le bougre aurait, paraît-il, choisi de faire mettre deux balles aux mousquets de ses troupes, explication tout à fait convaincante de la supériorité stratégique britannique, si on excepte le fait que l’armada rassemblée par l’Angleterre pour conquérir une toute petite colonie était l’une des plus formidables de l’époque et que la France avait depuis un moment déjà résolu de mener la guerre de Sept Ans en Europe et pas en Amérique.
Des omissions ridicules
Ce qui vient ajouter au caractère intrigant de l’entreprise de réconciliation et de retour sur les moments difficiles annoncée d’emblée par notre très honorable Prime Minister, c’est à quel point ceux-ci sont évités. Rien sur l’esclavage abondamment documenté par un historien comme Marcel Trudel, rien non plus sur la déportation des Acadiens (ils sont habitués d’être oubliés, mais quand même…), des phénomènes secondaires, sans doute, dans cette belle grande histoire canadienne.
Ajoutez à tout cela Adrienne Clarkson qui parle des Filles du Roi se vomissant les unes sur les autres durant leur traversée, une quelconque actrice canadienne qui témoigne de ses racines françaises qu’on soupçonne lointaines et quelques autres moments de bravoure d’intervenants de la culture populaire anglophone (Christopher Plummer ?), et vous passeriez probablement votre tour si quelqu’un s’avisait de vous demander de faire partie de ce nous de carnaval.