Woman x Women, à la Galerie Station 16, 3523 boul. St-Laurent, Montréal, jusqu’au 8 août 2015.
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L’année dernière, Artnet News demande à vingt femmes influentes du milieu de l’art si celui-ci est sexiste
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« We asked 20 Women «Is the Art World Biased? Here’s What They Said.», Artnet News, 16 septembre 2014, https://news.artnet.com/people/we-asked-20-women-is-the-art-world-biased-heres-what-they-said-81162, consulté le 4 août 2015.
, ce à quoi la peintre Marilyn Minter répond simplement : «hahaha… Is the pope catholic?». Les commissaires et directrices de musée interrogées dans le même article affirment à l’unanimité que les femmes sont effectivement sous-représentées dans le monde de l’art comme dans bien d’autres domaines. Mira Silvers, artiste et fondatrice du collectif d’artistes de rue Sugar 4 Brains, constate pour elle-même le déséquilibre. Alors qu’elle participe à l’événement d’art fantastique Spectrum, elle réalise que parmi huit artistes vedettes, il n’y a qu’une seule femme! «Il y a pourtant beaucoup plus de femmes qui étudient en art. Que se passe-t-il lorsqu’on arrive au niveau professionnel
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Entrevue accordée à l’auteure de l’article. Tout au long de l’article, les réponses sont traduites de l’anglais vers le français par l’auteure.
?», se demande Silvers. Cet événement a été le déclencheur pour la création de l’exposition Woman x Women présentée du 29 juillet au 8 août à la Station 16, une galerie d’art urbain située sur le boulevard Saint-Laurent.
Une semaine seulement? «Oui, car la location de l’espace coûte cher», dit celle qui a réuni toutes ses économies et ses énergies pour bâtir le projet. Elle a contacté des illustratrices, des peintres, des designeures, des tatoueuses ou encore des graffiteuses dont elle estime grandement le travail. Elle leur a demandé si elles voulaient créer une œuvre sur le thème de la réappropriation du corps de la femme.
Le thème est inspiré de l’affiche du groupe d’artistes les Guerrilla Girls «Do Women Have to be Naked to Get in the Met. Museum?», cette dernière faisant d’ailleurs partie de l’exposition. «L’affiche date de 1985 et pourtant, peu de choses ont changé», constate la commissaire de l’exposition,«et ce que l’affiche des Guerrilla Girls dit, c’est que dans les musées, on retrouve surtout des images de femmes nues peintes par des hommes. J’ai donc voulu créer un espace où les femmes se réapproprient leur corps», explique Silvers.
C’est la seule directive qu’elle a donnée aux artistes. Les œuvres sont diversifiées, mais deux esthétiques dominantes offrent une unité intéressante à l’exposition : l’esthétique léchée, épurée et colorée du pop art et l’esthétique débridée et détaillée de l’art fantastique.
Plusieurs œuvres représentent des figures féminines régnant sur des univers étranges (Edith Lebeau, Stardust; Hanah Natali, Ghost Wolf), alors que d’autres mettent en scène des femmes nues, cagoulées ou masquées, qui semblent prêtes à l’attaque (Miss Me, Portrait of a Vandal, Hannah Yata, Insanity Defense). Un portrait en buste, rappelant ceux de la Renaissance italienne, fait voir une jeune femme qui nous fixe de ces trois paires d’yeux (Alex Garant, Escaping the Era). D’autres portraits portent l’histoire du personnage qu’ils dépeignent. C’est le cas du saisissant portrait de Frida Kahlo peint par Sophie Wilkins ou encore celui, intrigant, d’Anne Frank par Melsa Montagne. Plusieurs, enfin, ont choisi de tourner le regard des personnages vers le spectateur ou la spectatrice, comme si ces femmes disaient quelque chose comme «nous sommes ici, ceci est notre espace». Et dans cet espace, elles peuvent être ce qu’elles veulent.
Édith Lebeau, Stardust; Hannah Yata, Insanity Defense.
La nudité ouverte
Le tableau Venus Envy de Heidy Taillefer fait partie de ceux qui ont retenu longuement mon attention. Celui-ci fait voir l’intérieur d’un corps féminin où l’on retrouve des fruits, des serpents, un fœtus dans une sorte d’aquarium avec des poissons et des œufs. À l’intérieur d’un sein, on aperçoit un robinet duquel s’écoule du lait. L’intérieur du corps est fait d’éléments de la flore et de la faune, mais aussi d’objets mécaniques, rappelant les portraits allégoriques d’Arcimboldo. La Vénus de Taillefer tient une orange coupée en deux dans le creux de sa main. Ce motif crée un dialogue avec l’illustration Sour Pussy de l’artiste Pony dans laquelle l’intérieur d’un citron donne à voir un sexe féminin. Les femmes se réapproprient donc aussi cette «nudité ouverte» dont parlait Georges Didi-Huberman dans Ouvrir Vénus
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Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus, Paris, Gallimard, 1999.
, un ouvrage qui propose une contre-interprétation des œuvres de Botticelli en faisant voir toute la violence et la cruauté qui animent la peinture des nus féminins.
Heidy Taillefer, Venus Envy
Woman x Women, un OSBL
Sur Art News, en mai dernier, des tableaux statistiques
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Maura Reilly, «Taking the Measure os Sexism : Facts, Figures and Fixes», Art News, 26 mai 2015, http://www.artnews.com/2015/05/26/taking-the-measure-of-sexism-facts-figures-and-fixes/, consulté le 4 août 2015.
montrent qu’il y a encore un fort déséquilibre entre les hommes et les femmes artistes en ce qui a trait à leurs revenus, à leur participation à des expositions ou encore à la couverture médiatique de leur travail. Malgré qu’il existe de grandes figures féminines de l’art contemporain comme Janet Cardiff, Jenny Holzer ou encore Jana Sterbak, celles-ci sont des exceptions et la situation demeure inéquitable pour les artistes femmes.
Silvers souhaite ainsi faire de Woman x Women une organisation sans but lucratif afin que l’événement puisse devenir un projet annuel : «Il y a plein de boys club dans le milieu de l’art», raconte-t-elle en souriant, «ils se soutiennent entre eux, on peut faire la même chose, pourquoi pas?» Le but premier du projet n’est donc pas de réunir des œuvres comportant un discours féministe, mais plutôt de créer une occurrence contribuant à réduire les iniquités dans le monde de l’art. On retrouve ainsi côte à côte des œuvres sublimant les stéréotypes féminins et d’autres qui, au contraire, les déconstruisent, les détournent et les critiquent.
Woman x Women, c’est donc un espace où le dialogue formel entre les œuvres rend possible la cohabitation d’une grande diversité de points de vue sur la représentation de la femme. Outre la qualité des œuvres mises en vente, c’est cette libre cohabitation qui donne au projet toute sa richesse.
Plus d’infos : http://www.sugar4brains.ca
Alex Garant, Escaping the Era