I Want to Believe

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27.10.2022

Pacific Palisades. Texte de Guillaume Corbeil. Interprétation : Évelyne de la Chenelière ; Mise en scène et conseil dramaturgique : Florent Siaud ; Scénographie et costumes : Romain Fabre. Une création des Songes turbulents, en coproduction avec l’Espace Jean Legendre et le Théâtre du Trillium. En codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui du 18 octobre au 5 novembre 2022.

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Je dois l’avouer, je me suis éloignée, depuis plusieurs années, d’un théâtre que je dirais plus traditionnellement narratif, c’est-à-dire d’un théâtre basé sur le récit, les péripéties, les personnages. Mes préférences se sont déplacées de l’imagination du récit à son discours. C’est un changement de sensibilité tout personnel, qui a affecté aussi mes préférences en cinéma et en littérature. Pourtant, c’est ce côté narratif, romanesque, de Pacific Palisades qui m’a intriguée quand j’en ai lu la description. La pièce, présentée pour la première fois au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, était décrite comme un « thriller halluciné », un « roadtrip scénique » jouant avec les codes du théâtre documentaire. Le synopsis : fasciné par l’histoire de Jeffrey Allan Lash (un Américain prétendant être à moitié extraterrestre et travailler pour les services secrets et qui a été retrouvé, mort, dans le coffre de sa voiture en 2015), « un homme » se rend à Pacific Palisades, le lieu de résidence de Lash, pour enquêter sur le sujet. La proposition a piqué ma curiosité, mais j’éprouvais tout de même une certaine appréhension en me rendant à la représentation… Elle s’est évanouie dès la première minute du spectacle, et n’est jamais réapparue.

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Le rabbit hole du fait divers

Celui qu’on désigne simplement comme « un homme » dans le résumé du CTDA, c’est en fait Guillaume Corbeil, écrivain et dramaturge… et auteur de la pièce Pacific Palisades. C’est un Guillaume Corbeil fictionnalisé, sis dans un autre espace-temps. L’espace : celui du condo dans lequel il vient d’emménager, seul; le temps : celui qui suit tout juste sa rupture avec la femme avec laquelle il avait acheté ce condo pour bâtir leur future famille. Plus, cet homme, c’est Guillaume Corbeil interprété par Évelyne de la Chenelière, tout simplement éclatante dans cette pièce où elle revêt la peau de tous les personnages.

C’est donc un Guillaume Corbeil tombé dans le rabbit hole d’Internet qui est à l’origine de l’histoire qui va suivre. En peine d’amour, il fait défiler les actualités sur son compte Facebook sans les voir, jusqu’à ce qu’il s’arrête sur l’histoire de Lash. Plus étranges que les élucubrations de l’homme dont on a trouvé le cadavre sont les millions de dollars en armes, en munitions et en argent comptant découverts chez lui par la police. Qui était réellement Lash ? Croyait-il en ses propres affirmations ? Ce fait divers devient une obsession pour Corbeil, qu’on devine embrasser la fuite en avant offerte par cette énigme qui ne fait que s’épaissir, l’entraînant dans une suite d’interrogations, de rencontres et de revirements.

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Preuves à l’appui

Pacific Palisades est présentée dans la toute petite salle Jean-Claude-Germain du CTDA, et profite de la configuration particulière de celle-ci (espace scénique de plain-pied avec les sièges, proximité des spectateurs) pour créer une atmosphère intimiste et pour élaborer une scénographie et une mise en scène où l’attention au détail prévaut. Du décor modulaire (dont la blancheur et les formes géométriques rappellent ces villas sises sur les hauteurs californiennes ayant marqué l’imaginaire cinématographique du lieu) qui permet à Évelyne de la Chenelière de modifier son environnement au gré des lieux visités aux légères modifications de costume (un simple changement de chaussures, par exemple) qui marquent sa métamorphose temporaire en un des personnages interrogés, tout est pensé pour qu’il n’y ait jamais de coupure dans ce récit surréel, pareil à un rêve sans fin se transformant sans cesse devant nos yeux.

La pièce est construite selon les règles de l’art du (pseudo-) documentaire d’enquête et du thriller métaphysique ou psychologique (j’aurais envie d’ajouter « à la David Lynch », dans ses films californiens), et est traversée de multiples clins d’œil à la littérature, au cinéma et à la télévision. Néanmoins, tout cela est si bien entrelacé et émaillé d’humour que le caractère divertissant de la pièce n’est jamais amoindri. Le récit est aussi parsemé de matériel visuel rappelant les éléments de preuves, de contextualisation ou de reconstitution typiques des documentaires d’enquête et des émissions comme Dossiers mystère. Sur des écrans encadrant la scène sont régulièrement projetés extraits de profils Facebook ou Instragram, photos, images de Google Maps, enregistrement d’une entrevue sur Zoom ; autant d’éléments qui donnent à ces tropes de l’enquête une touche humoristique contemporaine, théâtrale et amateure – car, si le personnage se fait passer pour un journaliste d’un quotidien sérieux, il est avant tout un auteur qui se rapproche bien davantage des websleuths (ces détectives amateurs qui, sur le Web, enquêtent sur des crimes non résolus) que de Fox Mulder. 

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Se raconter des histoires, ou « I Want to Believe »

Pacific Palisades est une pièce sur les histoires : celles qu’on se raconte et qu’on raconte aux gens, celles qu’on nous raconte, auxquelles on veut croire, qui nous permettent d’échapper à la réalité, qui nous transportent ou nous absorbent. Elle est tramée de réflexions sur les relations humaines, sur les possibilités et les limites du corps, de l’individualité. Et Corbeil – appuyé par le travail de l’équipe de conception et par le talent et le charisme d’Évelyne de la Chenelière – a réussi ce coup de maître qui consiste à nous entraîner à la suite de son personnage dans une aventure rocambolesque et pourtant sensible, où l’imagination et le discours sont si bien tissés qu’ils ne font qu’un.

crédits photos : Nicolas Descoteaux

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