Stations. Chorégraphie et interprétation : Louise Lecavalier ; Assistante à la chorégraphie et répétitrice : France Bruyère ; Conception lumières : Alain Lortie ; Conception costumes : Yso, Marilène Bastien ; Conseiller à la scénographie : Marc-André Coulombe ; Musique originale et arrangements : Antoine Berthiaume. Une production de Fou glorieux, présentée au Théâtre Maisonneuve dans le cadre du FTA, jusqu’au 12 juin 2021.
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La première fois que j’ai vu Louise Lecavalier sur scène, en 2012, j’avais acheté mon billet en me disant que c’était peut-être mon unique chance de la voir danser, elle dont j’admirais le travail depuis de nombreuses années à partir de captations vidéo. Puis, en 2016, j’ai assisté à Mille batailles, me disant que, cette fois-ci, c’était vraiment la dernière. Louise Lecavalier avait alors près de 60 ans ; elle avait largement dépassé l’âge de la retraite pour les des danseuses.
Pourtant, un nouveau spectacle solo figurait au calendrier du FTA de l’an dernier. Il a dû être reporté à cette année pour les raisons que l’on connait. Cette fois-ci, j’ai compris dès les premières minutes du spectacle que ce ne serait pas la dernière fois que je la verrais sur scène, car Louise Lecavalier n’est pas près d’arrêter de danser. Au contraire, elle creuse toujours plus loin dans une recherche d’un mouvement qui soit vrai, qui explore les possibles du corps et dévoile à la fois la force et la vulnérabilité de l’interprète.
Repousser les limites
Stations est un solo d’une heure dans lequel la danseuse est constamment en mouvements, parfois minimaux, à d’autres moments expansifs. En quatre « stations », démarquées par les changements de musique et de rythme, elle explore différents états, motifs et formes sur une scène dépouillée de tout décor, hormis les quatre colonnes de lumière qui délimitent l’espace de son terrain de jeu.
Stations est, comme on pouvait s’y attendre, une performance physique impressionnante. Sur l’entrainante musique composée et arrangée par Antoine Berthiaume dans laquelle se mêlent, entre autres, Suuns et Jerusalem in my Heart, de même que le saxophone de Colin Stetson, Lecavalier explose de tous les côtés, son corps puissant se déliant d’un bout à l’autre de la scène. Parvenant à occuper l’espace du grand plateau en entier, notamment par de longs déplacements latéraux portés par ce jeu de jambes qui donne l’impression qu’elle flotte, Lecavalier offre une performance extrêmement précise. Si elle travaille avec les contraintes d’un corps vieillissant, elle parvient à en repousser les limites pour proposer un langage chorégraphique dans lequel tous les mouvements sont assumés complètement. Certes, sa jambe ne lève plus aussi haut qu’avant et elle s’en moque ; elle la redresse avec intention et avec une présence totale à l’acte. Ce solo en est un de la justesse, où l’énergie de la danseuse se déploie autant dans les moments de douceur que dans ceux de puissance.
Avec ses cheveux blonds ébouriffés dont les soubresauts accompagnent chacun de ses mouvements, mais aussi par certains enchainements caractéristiques, Lecavalier lance de multiples clins d’œil à l’univers de La La La Human Steps. Ce faisant, la danseuse met de l’avant son rôle actif dans le développement du langage chorégraphique de la compagnie, soulignant ainsi que la danse est un dialogue entre chorégraphes et interprètes, une recherche qui s’effectue ensemble. Toutefois, Stations va bien au-delà de la référence et est la preuve d’un renouvellement constant de Lecavalier, qui cherche toujours dans les formes et les motifs à saisir ce qui, dans le geste, nous rapproche d’une vérité de l’être.
Une œuvre acclamée
Après une heure, les lumières s’éteignent. C’est alors l’ovation : le public se lève d’un même bond et applaudit avec ardeur. De tous les spectacles de danse auxquels j’ai pu assister, il s’agit certainement de la plus longue ovation dont j’aie été témoin – peut-être la plus longue de tous les spectacles. À la sortie, dans les couloirs de la Place-des-arts, le public discute avec animation, les visages sont lumineux et ravis. L’une parle du moment où Lecavalier s’allonge, entre deux stations, et où on l’entend haleter. Ce moment était tellement fort, j’en ai eu la chair de poule, dit-elle. Un autre parle de sa fougue et ajoute d’un air ébahi qu’elle est plus vieille que lui, qui approche de la cinquantaine et qui peine à monter les escaliers jusqu’à son appartement du troisième. Une autre encore essaie de comprendre le moment où la danseuse, dos au public, se penchait vers l’arrière, sa tête entièrement chavirée, comme si elle était une étrange créature, bouche et yeux renversés. Il n’y a rien à comprendre, lui répond son amie, c’est de la danse.
Et je me dis en espionnant ces conversations que Louise Lecavalier aura réussi, une fois de plus, à faire de la danse un moment de fascination, une rencontre qui excède les mots ; une ligne de cœur.
crédits photos : André Cornellier