Jérôme Bosch : Le jardin des délice, chorégraphie : Marie Chouinard ; musique originale : Louis Dufort ; scénographie et vidéo : Marie Chouinard ; interprètes : Charles Cardin-Bourbeau, Sébastien Cossette-Masse, Catherine Dagenais-Savard, Valeria Galluccio, Motrya Kozbur, Morgane Le Tiec, Scott McCabe, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, Clémentine Schindler ; lumières : Marie Chouinard ; costumes et accessoires : Marie Chouinard ; maquillage : Jacques-Lee Pelletier, présenté par Danse Danse au Théatre Maisonneuve (Montréal) du 27 au 30 septembre.
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La scène s’ouvre sur un tableau lui-même ouvert : le démesuré Jardin des délices de Jérôme Bosch, réalisé à la charnière des XVe et XVIe siècles. Pour souligner les cinq cent ans de la mort du peintre néerlandais, la chorégraphe Marie Chouinard a été invitée l’année dernière à se saisir de cette pièce maîtresse de l’histoire de l’art à travers un spectacle qu’elle présente pour la première fois à Montréal fin septembre 2017, en ouverture de la nouvelle saison de Danse Danse. Avec dix danseurs de sa compagnie, elle propose un parcours chorégraphique en trois temps afin de rendre vivant le célèbre triptyque de Bosch.

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Michel de Certeau, La Fable mystique I, XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2013, [1982], p. 72.
. » Hypnotisant, invoquant, la toile de Bosch appelle au délire de l’interprétation, elle impose sans arrêt à celui qui la contemple le besoin de créer des histoires et des liens entre ses scènes et ses personnages, d’y faire du ménage en y forçant le sens. L’illusion d’un code qui en déchiffrerait l’énigme garantit son secret et sa légende, alors que sa logique interne, mystique, demeure toujours en fuite. L’échec de la représentation s’inscrit au cœur même de sa peinture. Vaste machine à désorganiser le sens et trompant invariablement les attentes, Le Jardin des délices est une histoire de trop d’histoires, ratées pour avoir voulu tout en dire.

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Ibid., p. 81.
. » Autrement dit, ils feraient trou dans l’image en laissant un moment l’œil saturé du spectateur échapper à l’hypertrophie visuelle du spectacle, se chercher une fenêtre, un abri, si ce n’est une sortie… Mais c’est avant que la masse d’ombres ne recule à la limite de la scène, vaincue, pour se fondre dans les couleurs de la peinture projetée. Triomphe final d’une image absolue, pleine, sur les corps qui s’y évanouissent. Est-ce à dire que le pari de Marie Chouinard est réussi, qu’elle a bien « collé » à son tableau, jusqu’à y entrer ? Sans doute si l’on convient que de cette fresque monumentale et vibrante, le vivant est en définitive le grand absent. Son humanité ne se trouve ni en Enfer, ni en Paradis, encore moins dans ce temps de la Genèse où la perte n’a pas été encore consommée. À un tableau sans corps répond hélas une scène sans de grands délices. Ainsi Bosch referme sur notre désir de tout voir les volets de sa peinture, comme un secret dont nul n’a la clé.
Crédits photo : Sylvie-Ann Paré