Piece for person and ghetto blaster, concept, texte, mise en scène et performance : Nicola Gunn ; choregraphie : Jo Lloyd ; son : Kelly Ryall ; audio et vidéo : Martyn Coutts ; lumières : Niklas Pajanti ; costumes : Shio Otani ; dramaturgie : Jon Haynes ; direction de production : Gwen Gilchrist ; production : Jenny Vila. Présenté du 27 au 29 septembre à L’Usine C (Montréal).
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La prémisse est simple: Sur le bord d’un canal, un homme, accompagné de ses deux enfants, lance des pierres à un canard. Une femme, qui passait par là, les aperçoit : doit-elle intervenir? Nicola Gunn fait de ce dilemme un cas de figure. Si la question paraît d’emblée facile à résoudre, elle se complexifie au fur et à mesure que, tour à tour, les positions se succèdent, entraînant le spectateur dans une disposition des hypothétiques points de vue, de détails qui pourraient paraître anodins mais qui portent cependant à réflexion. Supposons que vous soyez cette femme : de quel droit, et sous le coup de quelle morale, pouvez-vous vous permettre d’intervenir? Qui êtes-vous pour dire à cet homme quoi faire? Est-ce que votre intervention pourrait envenimer la situation et pourrait-il, par la suite, s’en prendre à d’autres canards? Et vous, est-ce qu’il viendrait vous le dire, s’il le pouvait, jusque dans la chambre d’hôtel où vous vous dirigez, que vous êtes une bien mauvaise personne de coucher avec un homme marié? Est-ce moins condamnable, quoique plus hypocrite, que de lancer des pierres à un canard? Faut-il être blanc comme neige pour faire la morale ou pour espérer sauver un animal? Quelle est la responsabilité de chacun face aux actes des autres? Et si vous étiez ce canard?
L’histoire débute lorsque la femme, une australienne en voyage à l’étranger, fait le choix de provoquer une altercation houleuse plutôt que de se taire. Le canard, une femelle, ne bouge presque pas ; à peine si elle tourne en ronds, affolée, sans se résoudre à fuir et à abandonner les œufs qu’elle couve. Insatisfaite du résultat de son échange (en partie entravé par la barrière de la langue), Gunn rentre chez elle et fustige cet homme dans un statut qu’elle écrira sur Facebook alors que, sur scène, elle se moque de cette solution factice, de ce faux tribunal qui ne change rien mais qui permet aux gens de se placer dans l’espace du bien, et d’en placer d’autres dans celui du mal, à grand coups de likes et de commentaires.
Tenter de défendre sa position : sur la scène comme un canard
Gunn accompagne cette réflexion d’une gestuelle étrange, mi-fitness, mi-danse. Elle effectue une succession de postures qui semblent traduire la pensée qu’elle illustre, puisque certaines formes reviennent, comme un écho à ce qui a été dit plus tôt, pour appuyer ou tourner en dérision ces idées. Beaucoup de références à la culture populaire, au cinéma surtout, viennent ponctuer la pièce. Loin de se complaire à exposer sa petite leçon de morale comme une professeure à ses élèves, l’infiniment charmante interprète écorche elle-même son entreprise au passage, tantôt par de petites réflexions (« What the fuck am I doing?”, “It’s pathetic!”) ou encore en questionnant l’usage de l’espace théâtral en guise de lieu de tribunal. À cet égard, l’autodérision, les mises en abyme autoréflexives (lorsque par exemple l’homme du canal, en adoptant une posture d’artiste contemporain, tourne son projet en dérision) et les références cinglantes à Marina Abramovich laissent bon nombre de spectateurs hilares.
Vous n’êtes pas un canard
Vous n’êtes pas un canard et Nicola Gunn a une solution pour vous. Elle extrait des coulisses une cape magnifique et colorée, enfile une coiffe et la voilà dans le rôle du canard. Elle se pose au sol, de dos, et, sa voix, distordue par le micro, se lance dans un monologue dans lequel tous les éléments de la nature figurent. Elle mène sa vie de canard. Les descriptions se répètent et s’accentuent, l’intensité et le rythme augmentent. Des lasers traversant la salle se multiplient, mimant la trajectoire des pierres qui, elles, ne sont jamais nommées par la performeuse. Pour le canard, il n’y a ni dilemme moral ni questionnements humains. Pour le canard ce n’est qu’une agression de plus dans une vie de canard. Pour le canard il n’y a qu’une mission : protéger ses œufs.
crédits photo : Gregory Lorenzutti