L’Odyssée de trop d’espace
Hyperterrestres
Chorégraphie et interprétation de Benoît Lachambre et Fabrice Ramalingon, composition et performance musicale de Hahn Rowe, scénographie d’Emmanuelle Debeusscher, lumières de Maryse Gautier et costumes d’Alexandra Bertaut.
Un spectacle de Par B.L.eux présenté du 28 au 30 mai 2015 à l’Usine C dans le cadre du Festival Transamériques.
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Faire vibrer, donner à voir et à écouter, rendre sensible un «quotidien presque extraterrestre
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», ce sont dans ces généreuses dispositions que le duo de danseurs Benoît Lachambre et Fabrice Ramalingom présentent au FTA cette année une création commune : Hyperterrestres. Si Lachambre jouit d’une belle notoriété dans le milieu de la danse au Québec, soulignée notamment par le Grand Prix de la danse de Montréal en 2013, le montpelliérain d’adoption Ramalingom n’est pas en reste puisqu’il a déjà officié dans une pièce de son acolyte québécois en 2006, Lugares comunes. Première cocréation des deux amis, Hyperterrestres porte les stigmates de leurs obsessions communes des voix qu’empruntent le corps pour se dire et interagir, quand geste, regard et son participent d’une ode au langage, tissent des ponts, créent des connexions. Leur spectacle pourtant s’éploie dans la rupture des tons. Sur la crête des pics et des contrepoints, il met en scène la tentative de délier pour mieux lier.
L’ouverture annonce un air d’inquiétante étrangeté. Un immense drap se lève dans une lenteur toute cinématographique et découvre les deux danseurs avachis dans des canapés, à demi-morts et défigurés sous leurs capuches grises. Leurs poumons progressivement se remplissent de sons gutturaux, les échines sont traversées de secousses et de tics, entre hystérie électrique et aphasie dépressurisée. On plane dans une apesanteur lourde d’angoisse. Les deux hommes, doucement, s’animent, se déhanchent, rampent, toujours secoués de ces cris rocailleux ou sifflants et de vibrations épileptiques. Leur danse de Saint-Guy sous les néons et la toile évoque les infirmières borgnes et dégingandées du film d’horreur Silent Hill. Démarche saccadée, expirations suppliantes, menaces ou tressaillement des cordes vocales ? Le monstre est sur le point de surgir hors de sa houppelande pour vous prendre la gorge et vous amener à la dérive dans l’hyperespace où, c’est bien connu, personne ne vous entendra crier.
Photos : Frank Boulanger
Et pourtant, le frisson retombe. L’horizon d’une odyssée des corps désaxés s’assombrit tandis qu’une valse électronique emporte les deux hommes en orbite. Dans un coin de la scène, Hahn Rowe agite ses instruments. Chef d’orchestre et tortionnaire, voire rockeur interplanétaire, le démiurge acoustique module les bruits des souffles et des froissements des danseurs, les ficelant tant avec le cordon du micro que de la chaîne vocalique jaillie de ses enceintes. Tout doit se correspondre, se répondre, un bruit imprimant de son écho les chairs, le geste, lui, se répercutant dans les oscillations acoustiques : fantasme harmonique d’un univers absolument agencé. Hélas le mystère s’étiole, la machine s’enraye. Le jeu lève son voile et oublie son charme. Ce n’est pas faute d’inventivité toutefois, puisque le mobilier lui-même est mis à la contribution de cette audacieuse tentative de communion visuelle et auditive. Harnachement de cosmonaute ou nacelle fusant parmi les étoiles, une seule chaise offre ainsi au spectateur amusé son infini de possibilités.
La stratégie de la rupture aura été fatale à l’aventure spatiale. À trop vouloir faire feu de tout bois et de toute expression, à disperser plutôt qu’à s’acharner, les compères Lachambre et Ramalingom nous ont perdus dans les confins de leur Voie lactée. Car si l’être ici multiplie les adresses à l’autre jusqu’à inventer un nouveau langage, il peine à atteindre celui qui attend de l’autre côté de la salle de l’Usine C. Il eût mieux valu choisir une communication communielle plutôt que communicante, comme le proposait Georges Bataille, une communication qui n’est «profonde», et donc communion, qu’à la condition qu’elle «[veuille] le silence» et appelle à la dissolution.
Babel trop verbeuse, jactant jusqu’à l’essoufflement, et expérimentation ratée en raison de ses ambitions, Hyperterrestres se pare toutefois de plus d’un mérite. Au vu de la créativité de ses géniteurs et interprètes, la pièce aurait sans nul doute atteint les firmaments qu’elle s’était fixée en s’ancrant dans un ton plus résolu. Cela, ce sont les tremblements finaux de nos pauvres homo sapiens électrisés par les rais de lumière d’un spot ou monolithe supraterrestre qui nous le font espérer. L’univers est vaste et il y a encore tant à explorer. Assurément, d’autres tremblements n’en finissent pas d’y agiter des corps et de les pousser à de terribles vertiges.