Good boy à l’épreuve de la scène

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06.06.2019

Good boy, Idéation, texte et performance : Antoine Charbonneau-Demers ; mise en scène : Karyane Bilodeau. Spectacle présenté au Monument-National dans le cadre du OFFTA le 1er juin 2019.

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Assister à l’adaptation scénique d’un roman qu’on a lu, relu et aimé est toujours une expérience délicate. Retrouvera-t-on comme spectateur l’effet puissant de la lecture ? Les choix de mise en scène rendront-ils compte de la complexité du texte ? Dans le cas de Good boy, le roman d’Antoine Charbonneau-Demers, cette appréhension était renforcée par le fait que l’auteur lui-même incarnait le narrateur, faisant basculer l’œuvre du roman autobiographique vers l’autofiction théâtrale. Il était déjà tentant, à la lecture, d’établir des parallèles entre l’auteur et comédien Antoine Charbonneau-Demers et le narrateur, jeune gay venu d’un « territoire du nord » et multipliant à Montréal les expériences transgressives, dans une douloureuse quête d’émancipation. Sur scène, il ne s’agissait plus seulement d’échos autobiographiques, mais bien d’une assimilation de l’auteur au personnage – au risque du narcissisme, du côté de l’acteur, et du voyeurisme, du côté du public.

Une expérience du choc

Antoine Charbonneau-Demers et sa metteure en scène, Karyane Bilodeau, évitent ces deux écueils avec intelligence et sensibilité. Leur adaptation repose sur des choix radicaux, qui permettent de traiter un roman de près de 400 pages en moins d’une heure. Parmi les trames narratives, c’est celle de l’initiation sexuelle qui est privilégiée. Le spectacle évoque les différents amants du narrateur et fait parcourir au spectateur la carte de l’éros qui structure le récit d’apprentissage : rencontres éphémères animées par le plaisir de la découverte et le frisson du danger (Piero, Édouard), relation plus sérieuse dans laquelle le héros résiste de toutes ses forces à la tentation de l’abandon (Jérôme), avatars de Pygmalion qui exacerbent ses rêves de gloire (le photographe Nikő Galas, le mannequin Kurtis Vaughn). Dans chaque séquence, le texte est réduit à l’essentiel, sans mise en contexte : les scènes se succèdent dans un montage cut au rythme rapide, permettant au spectateur de partager la désorientation du personnage. Comme l’évoque bien l’extrait choisi pour la séquence d’ouverture, l’immersion dans la ville est d’abord une expérience du choc : « Ici, le danger, la sueur, le plaisir et les cris de douleur se mêlent à autant de monde qui meurt que de monde vivant, dans les mêmes secondes habitées, avec personne pour nous achaler. »

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Entre réalité et fantasme

Le dispositif scénique, d’une grande simplicité, rend compte d’un autre enjeu de Good boy : l’imbrication des plans de perception et la confusion de la réalité et du fantasme. Une régie à vue, côté jardin ; au centre du plateau, une chaise et une table, sur laquelle est posé un déguisement de chat au kitsch assumé ; côté cour, la reproduction d’un tableau de Modigliani, « La femme à la cravate noire ». Sont ainsi présents, d’emblée, deux motifs obsédants de l’œuvre : le chat blanc, T. Gondii, qui ne cesse de faire irruption dans le roman, charriant avec lui tout un imaginaire de la contamination, et les regards énigmatiques dessinés par le peintre italien, qui hantent le narrateur depuis l’enfance. La chanteuse pop Rihanna, troisième figure récurrente de Good Boy, apparaîtra plus tard, à travers des épisodes où elle se transforme en médecin disséquant le héros, mais aussi à travers des séquences musicales durant lesquelles Antoine Charbonneau-Demers performe ses clips avec un mimétisme corporel saisissant. Le fantasme vire alors à la possession et le spectacle épouse la progression du récit qui, partant d’un contexte réaliste, bascule peu à peu dans un univers cauchemardesque : suivant les pires scénarios conspirationnistes, des forces occultes régissent les destins individuels.

Je est un autre

Mais le spectacle ne tire pas seulement sa force de sa fidélité au roman. Good boy exploite pleinement les possibilités qu’offre l’incarnation d’un personnage par son auteur même. Antoine Charbonneau-Demers s’engage ainsi, émotionnellement et physiquement, sans fausse pudeur, au point que le spectacle frôle parfois la performance. On le voit dans la séquence du jeu à boire, où l’acteur confesse ses transgressions et ses blessures, tout en tendant au spectateur un miroir qu’il peut être tenté d’esquiver. Pourtant, Good boy ne se réduit pas à un long aveu provocateur et cathartique. Pour faire entendre l’humour et l’ironie qui caractérisent le texte, le comédien et la metteure en scène convoquent diverses formes d’énonciation : le texte est tantôt joué, tantôt lu, tantôt porté par une voix off. Antoine Charbonneau-Demers exploite également toute l’étendue de sa palette physique et vocale pour incarner les nombreux personnages de Good boy, mais aussi et surtout pour mettre à distance son propre narrateur. Tour à tour sincère, cynique, désemparé, poseur, touchant, possédé ou au contraire spectateur de lui-même, l’acteur transpose alors théâtralement un des aspects les plus intéressants de Good boy : la représentation critique d’un narcissisme typiquement contemporain, exacerbé par le règne de l’image.

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Au sortir du spectacle, on formulera un seul regret : celui que le format bref ait conduit à écarter certains personnages (les colocataires Anouck et Rosabel, l’inénarrable voisine Florentia…) et, surtout, à laisser de côté la trame narrative construite autour de la mère, qui donne lieu à plusieurs scènes bouleversantes et confère tout son sens au titre. Dès lors, on ne peut qu’espérer une version longue de Good Boy : Antoine Charbonneau-Demers et Karyane Bilodeau ont prouvé qu’ils avaient le talent nécessaire pour porter à la scène toutes les facettes du roman.

crédits photos: Rémi Hermoso.

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