Retour au numéro: États de corps
[N]ous vivons dans une poche infiniment petite d'un mégavers immense. Notre monde ne serait qu'une niche hospitalière pour l'homme, à côté d'innombrables autres Univers, dans lesquels règnent des lois de la nature différentes. S'il existait des Universités dans chaque Univers, les étudiants y apprendraient une physique différente1.
— Leonard Susskind, Stanford University
Stéphane Gilot élabore depuis plus d'une quinzaine d'années une œuvre complexe comprenant installations, maquettes, structures de jeu, performances, vidéos, ainsi que la pratique du dessin et de l'aquarelle. Sa réflexion rhizomathique puise à l'histoire de l'art, l'architecture, la philosophie, le cinéma, la littérature, la cosmologie, la science-fiction, et transcende les frontières disciplinaires. Des notions fondamentales comme la question des utopies, la nature du réel, l'idée de monde et de société, les thèmes de l'enfermement, de la liberté, du contrôle et, plus récemment, les modalités de développement et de transmission des savoirs, s'y déploient sous diverses formes. Sa pratique ouvre une zone d'expérimentation par laquelle la pensée libérée des méthodologies scientifiques strictes et doctrinaires s'exerce à travers l'art. Ses références s'articulent en un univers théorique soutenu et cohérent, difficile à synthétiser en quelques lignes.
Le cône
Empreintes de l'influence minimaliste du courant américain des années 1960 et 1970, les premières installations architecturales monochromatiques réalisées par Stéphane Gilot à la fin des années 1990 sont conçues en fonction des lieux, en révèlent les particularités ou en transforment l’usage. Tel est le cas de l'installation C'est en suivant la frontière, en longeant la surface... (1997), dont le titre emprunte à Gilles Deleuze (Logique du sens, Minuit, 1969), mur courbé et incliné recouvert d’argile rouge réalisé à même l'espace d'exposition et dont la présence suggère une structure parasitaire géante. Accompagnant cette construction, se trouve une maquette par laquelle nous comprenons qu'il s'agit bien d'une paroi qui, selon le plan, appartient conceptuellement à un cône géant envahissant le bâtiment et les rues avoisinantes.
1. Tobias Hürter et Max Rauner, Les univers parallèles : du géocentrisme au multivers, CNRS éditions, Paris, 2009, p. 138.