Retour au numéro:
Dans la tragicomédie des conservateurs,
nous ne sommes pas de simples spectateurs.
Notre passivité nous rend complices de gestes que
nous prétendons rejeter. Ce que les conservateurs
nous refusent, nous pouvons nous le donner
nous-mêmes. Il faut donc multiplier les actions politiques
et sociales afin de manifester notre désaccord,
de forcer les autres partis fédéraux à agir pour retrouver
un État démocratique digne de ce nom, mais aussi
de favoriser autant que possible les initiatives
de solidarité sociale et de délibération publique.
— Christian Nadeau, Contre Harper. Bref traité
philosophique sur la révolution
conservatrice (Boréal, 2010)
J’ai peu dormi dans la nuit du 2 au 3 mai dernier, nuit blanche que l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire aura sans doute laissée en partage à plusieurs d’entre nous. Étrange solidarité, triste confrérie. Tard dans la nuit, j’ai relu plusieurs fois le texte « delphique » que signe Hélène Dorion dans le présent numéro, le tout dernier d’une série de chroniques qu’à titre d’écrivaine invitée elle a eu la générosité de nous donner à lire au cours de la dernière année. Nous ne la remercierons jamais assez d’avoir accepté notre invitation. Ce texte, écrit dans l’entre-temps fragile et inquiet qui aura suivi la disparition de Pierre Gauvreau et précédé la réélection hélas prévisible du gouvernement de Stephen Harper, redit avec force et intelligence tout « ce que peut un poème, ce que peut la création artistique ». Face à l’« absurdité », « contre le simulacre » qui nous tiendra encore lieu de démocratie, je le relis de nouveau en écrivant ces lignes, y cherchant quelque chose comme un mot qui puisse redonner son élan à un espoir fatigué.
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Il faut, je crois, relire attentivement l’essai de Christian Nadeau, Contre Harper, quand bien même pourrions-nous aujourd’hui souhaiter qu’il l’eût été une première fois par nos voisins du Canada anglais… Si l’on ne refait pas l’histoire, on peut à tout le moins espérer que ce petit « traité philosophique » soit prochainement revu et augmenté — la « révolution conservatrice » qui nous attend ne manquera pas de fournir à son auteur matière à épiloguer —, mais surtout traduit vers l’anglais et largement diffusé.
Comme le souligne avec inquiétude Hélène Dorion, nul doute que pour la communauté artistique du Québec et du Canada le « portrait terrifiant de ce que pourrait devenir le Canada », ne serait-ce qu’en regard des politiques culturelles annoncées par les conservateurs, exigera bientôt une mobilisation de tous les instants. « Rappelons, avec Christian Nadeau, la stupeur du milieu cinématographique lorsque le gouvernement a introduit le projet d’une nouvelle mesure fiscale, la loi C-10, qui imposerait une sélection des œuvres éligibles à un crédit d’impôt fédéral en fonction de leur conformité avec l’ordre public. »
Ce « mépris flagrant [...] des arts et des lettres » n’est pourtant que l’une des expressions troublantes d’une révolution qui cherche « activement à modifier l’organisation politique et sociale du pays », écrit Nadeau. S’il nous faudra bientôt « retourner au “Refus global” », comme nous y enjoint Hélène Dorion, ce sera aussi dans l’obligation de manifester notre désaccord devant le spectacle abject auquel il nous est hélas déjà donné d’assister comme de « simples spectateurs ».
En publiant dans ce numéro un dossier consacré aux « Passages des frontières », que présente ici avec intelligence et conviction Michel Peterson, Spirale entend à sa façon « favoriser » une nécessaire initiative « de solidarité sociale et de délibération publique ». Aussi joignons-nous notre voix à la sienne pour « exprimer [notre] plus profonde gratitude aux demandeurs d’asile qui nous ont si généreusement autorisés à publier leurs photos » dans ce dossier. Ils témoignent ici du « caractère tragique de la condition d’existence du demandeur d’asile, du réfugié ou de l’apatride », dont les récentes lois C-11 et C-49 du gouvernement conservateur pénalisent davantage encore la condition.Contre cela aussi il faut dire notre refus.
Des nouvelles en bref
Le numéro d’automne de Spirale (no 238, automne 2011) sera de nouveau l’occasion, sinon de dénoncer, du moins de rappeler les incidences de la politique culturelle du gouvernement conservateur. Inventif et souvent audacieux, célébré dans tous les festivals internationaux, le cinéma documentaire québécois, auquel sera consacré le dossier que dirigeront Stéphan Gibeault et Sylvano Santini, est pourtant menacé par les coupes récentes des politiques restrictives du gouvernement Harper. Ce dossier fera notamment place à plusieurs intervenants du milieu. Nos lecteurs auront également la chance de découvrir ou de redécouvrir le travail de l’artiste Dominique Blain à travers un portfolio présenté par Sylvie Lacerte.
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En plus de l’inauguration du nouveau site du collectif Radio Spirale (voir la page suivante), nos lecteurs seront également conviés, cet automne, au lancement de trois nouveaux titres dans la collection « Nouveaux Essais Spirale » chez Nota bene : La crise du discours économique. Travail immatériel et émancipation, d’Éric Méchoulan ; Chantiers de l’image, de Sylvain Campeau ; et Les rêveries de la Plaza Saint-Hubert, de Nicolas Lévesque.
Bon été !