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Qu'est-ce qu'un homme révolté ?
Un homme qui dit non. Mais s'il refuse,
il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui
dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave,
qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain
inacceptable un nouveau commandement. Quel est
le contenu de ce « non » ?
Il signifie, par exemple, « les choses ont
trop duré », « jusque-là oui, au-delà non »,
« vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite
que vous ne dé´passerez pas ». En somme, ce non affirme
l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée
de limite dans ce sentiment du révolté que l'autre
« exagère », qu'il étend son droit au-delà d'une frontière
à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite.
— Albert Camus, L'homme révolté (Gallimard, 1951)
J'aurais souhaité pouvoir inaugurer ce premier numéro de 2012 par un éditorial qui eût donné le ton pour les mois à venir ; rappeler, par exemple — et à l’exemple d’un mouvement qui, en Amérique du moins, s’est épuisé cet automne à « négocier » les conditions de son existence avec les pouvoirs contre lesquels il se mobilisait —, que l’indignation ne suffit pas, ne saurait suffire, quand bien même, rappelait Stéphane Hessel, serait-elle le ferment de tout « esprit de résistance » (Indignez-vous !, Indigène éditions, 2010). Après Hessel, il faut relire Camus.
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À cette dernière injonction, « il faut relire Camus », on serait tenté d’ajouter cette autre : « Il faut relire Nancy », comme nous y invite en ces pages Ginette Michaud à travers les textes du dossier dont elle assume la direction, « Jean-Luc Nancy, lignes de sens — philosophie, art, politique ». Relire Nancy, penser avec lui, justement pour « s’engager dans une “expérience de pensée et du réel” partout à l’œuvre dans son travail, qu’il y soit question de la “cré´ation du monde”, du corps, de la dé´construction du christianisme, de la démocratie et du geste de l’œuvre d’art ». Car s’il est une tâche à laquelle il faudra plus que jamais s’astreindre en 2012, c’est peut-être d’inventer, à sa suite, « une politique demandant précisément de penser une autre mise en commun ».
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Après ce dossier consacré à l’un des plus importants philosophes des quarante dernières années, notre prochain numéro (printemps 2012, no 240) proposera un retour à l’un des écrivains dont on ne peut que souligner, aujourd’hui encore, l’actualité. Sous la direction de Véronique Lane et Catherine Mavrikakis, le dossier « Jean Genet, toujours en fuite » proposera à nos lecteurs des textes consacrés aux plus récentes publications de et sur Genet. Explorant des thèmes que n’aurait pas répudiés l’auteur du Journal du voleur, le dossier de notre numéro d’été 2012 (no 241) se veut une prolongation en pensée et la réplique contemporaine à l’ouvrage essentiel de Georges Bataille, La littérature et le mal. Sous la direction de Gilles Dupuis et Philipo Palumbo, le dossier « La littérature et le sacré » s’efforcera de retracer la dimension métaphysique du sacré inscrite en filigrane dans les œuvres de Yannick Haenel, François Meyronnis, Roberto Calasso, Pierre Ouellet, Roberto Bolaño, Jean-Louis Chrétien, Pascal Quignard, Jacques Abeille, Fernand Ouellette, etc. Enfin, notre numéro d’automne 2012 (no 242) fera place à un dossier longtemps attendu en nos pages : « États de corps », sous la direction de Michèle Febvre et Guylaine Massoutre, sera en effet consacré à la danse — sujet dont nous traitons hélas trop peu —, ou plus précisément, à travers la danse, au travail préalable du sujet écrivant, dansant, jouant, chantant, orienté vers le possible déploiement d’unité et de spécificité de l’œuvre d’art.
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Nous aurons également la chance, en 2012, d’accueillir de nouveau des portfolios consacrés à des artistes aussi importants que Gilles Mihalcean, lauréat du prix Paul-Émile-Borduas 2011, que présente Laurier Lacroix dans le présent numéro ; Denis Rousseau, sculpteur et artiste multidisciplinaire dont Sylvie Lacerte signera le texte de présentation dans notre numéro de printemps 2012 (no 240) ; Martin Désilets, dont Patrice Loubier commentera l’œuvre photographique (été 2012, no 241) ; et enfin Stéphane Gilot, artiste multidisciplinaire que présentera Ève Dorais dans notre numéro d’automne 2012 (no 242).
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2012 sera pourtant encore jeune lorsque paraîtra ce numéro d’hiver. Afin de bien marquer ce début d’année, c’est donc avec grand plaisir que toute l’équipe de Spirale invite collaborateurs et lecteurs à un premier événement au cours duquel nous soulignerons non seulement la parution du présent numéro, mais remettrons également à Pierre Ouellet le prix Spirale Eva-Le-Grand pour son essai Où suis-je ? Paroles des Égarés (VLB éditeur, 2010). Toutes nos félicitations vont bien entendu au lauréat, mais également à Catherine Mavrikakis, finaliste pour son e-carnet L’éternité en accéléré (Héliotrope, 2010), ainsi qu’à Madeleine Ouellette-Michalska, pour son ouvrage intitulé Imaginaire sans frontières ; les lieux de l’écriture, l’écriture des lieux(Éditions XYZ, 2010). Nous profiterons de l’occasion pour souligner la parution des trois plus récents titres de la collection « Nouveaux Essais Spirale » publiés chez Nota bene : La crise du discours économique. Travail immatériel et émancipation, d’Éric Méchoulan ; Chantiers de l’image, de Sylvain Campeau ; et Les rêveries de la Plaza St-Hubert, de Nicolas Lévesque. Ce premier événement de 2012 aura lieu à la librairie Olivieri (5219, chemin de la Côte-des-Neiges), le vendredi 13 janvier, à 17 h 30. Au plaisir de vous y voir nombreux !
Bonne rentrée d’hiver !