Éducation, éthique et culture

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Reloj de Arena, de Glenda León, n’indique ni heures, ni minutes, ni secondes, mais semble au contraire suspendre le temps dans l’instant lumineux de la perception, comme si cette horloge de sable marquait ainsi notre rapport incertain et anxieux au temps. Quelle ère est-il ? 

Au moment et à l’heure où fusent de nouveau de douteuses critiques à l’endroit du programme d’Éthique et de culture religieuse, accusé cette fois par une « étude » de l’Institut de recherche sur le Québec de véhiculer une « propagande » multiculturaliste (cela même que le cours cherche pourtant à critiquer) et d’« endoctriner » les jeunes élèves du Québec (assertions pour le moins gênantes tant sont convoqués de manière irresponsable, dans cette étude, des termes et un vocabulaire dont Glenda León, artiste cubaine, sait, elle, tout au contraire mesurer le sens inquiétant et la portée), Spirale accueille en ses pages un dossier dont les visées mêmes cherchent à rappeler que « la construction sociale des normes du monde à venir ne peut plus se concevoir au seul niveau national ». Comme le soulignent les responsables du dossier « L’éthique à l’ère de la mondialisation », Dominic Desroches et Martin Provencher, « [l]’éthique doit désormais embrasser le monde global », quand bien même existeraient encore frontières et murs entre les États. 

En convoquant les réflexions de penseurs et philosophes comme Foucault, Lasch, Honneth, Nussbaum, Ogien et Pogge, les collaborateurs de ce dossier cherchent à « mieux situer les limites de nos actions directes afin de réguler un monde postmoderne qui, sans renoncer à l’espérance rationnelle, sait que l’avenir exige encore… des compromis ! » L’à-venir du Québec, les conditions de notre « vivre-ensemble » et du partage d’une culture commune à l’intérieur d’un État souverain — cet à-venir-là, précisément, n’en déplaise à ceux et celles qui, pour une raison ou pour une autre, voudraient confondre « pluralisme » et « multiculturalisme » —, passe nécessairement par cet effort de pensée.

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S’il est entendu que les aiguilles de l’horloge de Glenda León ne cherchent sans doute pas à marquer l’heure de la mondialisation, leur mouvement n’en reste pas moins suspendu, comme si leur marche était freinée par quelque longue hésitation, temps d’arrêt qui serait tout aussi bien décentrement, déstabilisation du temps du monde. Il va sans dire qu’il y a pour nous un immense plaisir à réunir ainsi, sous la couverture d’un même numéro de Spirale, ce dossier qui invite à une nécessaire réflexion sur l’éthique (au moment où émerge une conscience planétaire) et le portfolio d’une artiste cubaine que sa pratique aura menée à se pencher et à réfléchir sur la condition même du geste artistique. Comme le souligne Geneviève Marot dans sa présentation du portfolio qu’elle signe ici, « [l]’approche artistique de Glenda León relève d’une dynamique introspective, psycho-active, marquant une ouverture insoupçonnée de l’art produit à Cuba à la fin des années 1990 et la réaffirmation inquiète du rôle de l’artiste socialement engagé. » Ce rôle, pleinement assumé, conduira également Glenda León à publier La Condición Performática, essai paru à la Havane en 2001, non sans être passé par la censure étatique ; s’agissant du « seul document repensant la notion de performativité artistique à partir de l’art dit de la performance », comme le précise sa traductrice, Eva Labarias, il nous a semblé important, sinon nécessaire, d’accueillir la version intégrale de cet ouvrage (préfacé par Geneviève Marot et accompagné d’un inédit) dans la collection « Nouveaux Essais Spirale ».

Nos lecteurs sont donc chaleureusement invités au lancement de La Condition de performance (Éditions Nota bene), le jeudi 21 janvier 2010 (dès 18h) à la Fonderie Darling (250, rue Queen, Montréal). Artiste en résidence à la galerie, Glenda León sera présente et s’entretiendra avec Eva Labarias au sujet de l’impact qu’a représenté l’art de la performance comme stratégie de survie esthétique.

Nous profiterons également de cette occasion pour remettre à David Solway le Prix Spirale Eva-Le-Grand 2008-2009, décerné pour son recueil Le bon prof. Essais sur l’éducation(Éditions Bellarmin). Les questions fondamentales abordées de front en ces pages, le portrait implacable que l’auteur y trace d’un système qui menace jusqu’aux fondements culturels et historiques de ce qui jadis tenait lieu d’éducation, ont profondément ébranlé les membres du jury, sensibles à ce qui, dans ces essais, tient lieu de cri à la face d’un monde « out of joint ». Le bon prof. Essais sur l’éducation est un livre remarquable, à l’égard duquel s’imposent certes certaines réserves, mais qui, pour sa force d’écriture et de style, pour l’importance et la qualité de la réflexion qui traverse ses pages, doit être lu par tous ceux et celles que préoccupe aujourd’hui l’éducation au Québec, si ce n’est l’avenir et la pérennité d’un certain héritage culturel1.

Si nous tenons bien entendu à offrir toutes nos félicitations au lauréat, nous souhaitons également remercier Michaël La Chance (Corrida pour soi seul. Exercices ; Triptyque), Ginette Michaud (Veilleuses. Autour de trois images de Jacques Derrida ; Nota bene), ainsi que Nathalie Stephens (Carnets de désaccord ; Le Quartanier) : l’indiscutable qualité des essais qui leur ont valu d’être finalistes nous rassure sur la valeur du prix que nous offrons.

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À PARAÎTRE dans notre prochain numéro : un dossier intitulé « Hélène Cixous, ou la fiction du rêver vrai », sous la direction de Ginette Michaud (no 231, mars-avril 2010), ainsi qu’un portfolio consacré aux recherches et aux travaux photographiques sur les chambres noires de l’artiste Michel Campeau.

1. Voir l’article que Jean-François Bourgeault consacre au recueil de David Solway, « Stratégie de la termitière », Spirale, no 229, novembre-décembre 2009, p. 41-42.