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À assister et à participer aux débats actuels
sur l’identité québécoise, les valeurs communes,
la laïcité et le pluralisme, on peut s’étonner de
constater à quel point la dimension de l’imaginaire
culturel et littéraire en est absente. Sommes-nous tous
devenus à ce point des juristes dans l’âme, sommes-nous
à ce point piégés par la « société des droits »
que nous soyons devenus incapables de penser
un tant soit peu la culture québécoise en acte,
d’en saisir les élans, le dynamisme, la diversité ?
— Pierre Nepveu, « Petit constat
sur un Québec éclaté »,
Le Devoir, 9 février 2010.
Un rappel s’impose au moment de publier en nos pages ce deuxième volet de notre dossier sur les « Enjeux de la laïcité ». Il y a maintenant un an, les débats auxquels avait donné lieu la Commission sur les accommodements en matière religieuse et culturelle (Bouchard-Taylor) se multipliaient et occupaient de plus en plus l’espace public. On pouvait se réjouir à l’idée que les questions soulevées par les travaux de la Commission, puis par le dépôt du Rapport Bouchard-Taylor, intéressent et mobilisent ainsi non seulement la population, mais aussi bien ses intellectuels et ses spécialistes. Dès l’automne 2009, la nécessité de participer au débat avait d’ailleurs convaincu les membres du comité de rédaction de consacrer un dossier aux « Enjeux de la laïcité ». À l’image de la Cité, sans doute — et bien avant que ne paraissent le Manifeste pour un Québec pluraliste, puis la Déclaration pour un Québec laïque et pluraliste, textes qui allaient, dans les semaines et les mois à venir, participer à la polarisation du débat —, la diversité de nos opinions sur cette question nous empêchait toutefois d’afficher, au nom de Spirale, une ligne éditoriale qui serait parvenue à faire consensus. S’imposait pourtant avec force, aux yeux de tous, qu’il nous fallait, par ce dossier, aborder non seulement les différents enjeux sociaux, politiques et philosophiques de la question, mais également ses enjeux esthétiques et culturels. Rapidement, l’ampleur et l’importance du projet exigèrent cependant une nécessaire partition du dossier en deux volets distincts. En confiant à Georges Leroux, auquel s’est adjoint Jocelyn Maclure à titre de codirecteur, la responsabilité du premier dossier consacré aux enjeux plus immédiatement sociopolitiques et philosophiques de la laïcité, le comité de rédaction avait choisi de faire appel à deux éminents spécialistes de la question, « les mieux placés pour mettre en lumière, à travers les plus récentes publications consacrées à la laïcité, la diversité des points de vue en cause dans cet important débat », écrivions-nous dans l’éditorial de notre numéro d’automne. A posteriori, comme nous l’ont également fait remarquer certains lecteurs, il nous a semblé qu’ainsi formulé, nous avons pu laisser entendre que cette diversité étaient représentée de manière « égale » parmi les ouvrages recensés, voire parmi les collaborateurs invités à participer au dossier. Notre intention, bien entendu, n’était pas d’induire en erreur ; la présentation du dossier, signée par Georges Leroux et Jocelyn Maclure, était d’ailleurs, à cet égard, des plus claires et explicites. En contribuant comme il le fait à la nécessaire réflexion en cours, ce dossier aura rempli toutes ses promesses.
Le second dossier que nous publions dans le présent numéro, « Enjeux de la laïcité II. La laïcité au regard du littéraire », sous la direction de Guylaine Massoutre, ne vient donc pas corriger ici ce que d’aucuns voudraient peut-être considérer comme les lacunes du précédent dossier, ni ne saurait encore une fois représenter pour les membres du comité de rédaction l’exemplification d’une position idéologique commune ou d’une ligne éditoriale consensuelle. Ne faudra-t-il pas aussi un jour en finir avec nos impossibles rêves de consensus, notre nostalgie d’une illusoire homogénéité à retrouver ?
En cherchant cette fois à redéfinir, du point de vue des arts et des lettres, ce que nous attendons de la laïcité, ce second volet répond en fait à notre désir d’accorder aussi sa place, dans ce débat, à ce que Pierre Nepveu, il y a un an, appelait « la dimension de l’imaginaire culturel et littéraire » (« Petit constat sur un Québec éclaté », Le Devoir, 9 février 2010). « Comment les écrivains participent-ils à ces aléas politiques de la laïcité ? Comment la laïcité se présente-t-elle au regard du littéraire ? », demande en nos pages Guylaine Massoutre.
Si ce dossier comble un manque ou une absence, ce serait donc, plus largement, dans un débat qui ne semble faire aucune place à cet autre discours, celui qui invente aussi pour nous le Québec d’hier et de demain. « Une société ne vit pas seulement de principes politiques et de droits, de chartes et de valeurs, elle vit aussi de relire autrement son passé, de s’inventer sans cesse dans de nouvelles formes, de se projeter dans l’inconnu, bref de se créer librement », écrivait encore Pierre Nepveu. Sensible à cet appel, Guylaine Massoutre fait donc sienne, pour nous, une proposition nous invitant à « [m]ultiplier les imaginaires » afin d’assurer le projet d’une « culture vivante ». Faisant « éclater le consensus », les collaborateurs de ce second volet nous rappellent que, « loin de désunir, la laïcité est tout sauf une lecture neutre, en définitive ».
Mais encore faut-il lire. Et bien lire !
Le prix Spirale Eva-Le-Grand 2009-2010
De Neil Bissoondath (1994-1995), premier lauréat du prix Spirale de l’essai pour Selling Illusions. The Cult of Multiculturalism in Canada (Penguin Books), à David Solway (2008-2009), lauréat du prix pour Le bon prof. Essais sur l’éducation (Bellarmin), les auteurs salués au cours des dernières années par les différents comités de rédaction du magazine l’ont été pour des ouvrages de réflexion dont on ne peut aujourd’hui que souligner la diversité des sujets et des formes d’écriture. De l’étude plus universitaire de Régine Robin (1998-1999), Le Golem de l’écriture. De l’autofiction au cybersoi (XYZ éditeur), à l’essai « hilare » de Victor-Lévy Beaulieu (2006-2007), James Joyce, l’Irlande, le Québec et les mots (Éditions Trois-Pistoles), la distance est grande qui sépare les enjeux de réflexion et son rendu par l’écriture. C’est dire aussi combien le prix Spirale Eva-Le-Grand, au fil des ans, s’est intéressé à des ouvrages essayistiques qui repoussent les limites du genre.
La liste des finalistes pour 2009-2010, à cet égard, est exemplaire. Nous ne saurions trop souligner la qualité, voire l’excellence des ouvrages qu’ont signés Hélène Dorion (L’étreinte des vents ; PUM, 2009), Yvon Rivard (Une idée simple ; Boréal, 2010) et Louise Warren (Attachements. Observation d’une bibliothèque ; l’Hexagone, 2010) ; essais tantôt engagés, tantôt poétiques, aux accents philosophiques et autobiographiques, chacun mérite une reconnaissance que l’on refuse encore trop souvent au patient travail de la pensée et de l’écriture. Le comité de rédaction, cette année, a d’ailleurs tenu à reconnaître ce qui, pour nous, relève au plus près d’une maîtrise d’écriture et témoigne d’une indiscutable finesse d’analyse. Avec Juste le poème, peut-être (Derrida, Celan) suivi de Singbarer Rest : l’amitié, l’indeuillable (Le temps volé éditeur, 2009), Ginette Michaud, lauréate du prix Spirale Eva-Le-Grand 2009-2010, nous propose ce qui relève sans aucun doute d’une « leçon de lecture », commentaire exigeant qui, pas à pas, déroule et retrace l’histoire d’une dette (de plusieurs dettes), c’est-à-dire peut-être d’abord de l’engagement de Derrida envers Celan, mais aussi, par le fait même, de « la revenance de la poésie de l’un (Celan) dans la philosophie de l’autre (Derrida) », comme le suggérait Karine Drolet dans notre dernier numéro (« L’avenir de la dette », Spirale, no 234, automne 2010). Il nous a également semblé qu’en primant cet essai, il nous était donné de reconnaître — dans cet ouvrage soigneusement édité par Marc Desjardins et Le temps volé éditeur — une lecture engagée et personnelle de l’œuvre de Jacques Derrida, non pas l’aboutissement, mais l’expression maîtrisée d’un patient travail mené depuis plusieurs années, notamment dans les pages de Spirale, où nos lecteurs ont pu suivre et mesurer, grâce aux lectures et aux commentaires de Ginette Michaud, l’importance de la pensée de Jacques Derrida.
Toutes nos félicitations à la lauréate et nos plus sincères remerciements aux finalistes !
Des nouvelles en bref
Spirale tient à saluer la création du GELi (Groupement des éditeurs littéraires). « Soucieux de voir le livre culturel regagner de la vigueur et de l’influence sur la place publique », certains éditeurs du Québec se sont en effet récemment réunis afin de mieux défendre et de promouvoir la littérature québécoise. On peut lire le communiqué du GELi sur la page Facebook de Spirale. Pour plus d’informations, nous sommes invités à communiquer avec Arnaud Foulon (Hurtubise ; arnaud.foulon@ editionshurtubise.com) ou Antoine Tanguay (Alto ; atanguay@editionsalto.com).
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La remise du prix Spirale Eva-Le-Grand 2009-2010, remis à Ginette Michaud, aura lieu à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février 2011. Le lieu et la date seront précisés au cours des prochaines semaines dans le cahier « Livres » du Devoir.
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Le quatorzième titre de la collection « Nouveaux Essais Spirale », La crise du discours économique. Travail immatériel et émancipation, d’Éric Méchoulan, paraîtra cet hiver aux Éditions Nota bene ; nous en ferons bien entendu l’annonce sur notre site Internet et sur la page Facebook du magazine.
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Grâce à l’équipe du Laboratoire NT2 de l’UQAM, la conception du tout nouveau site du projet collectif Radio Spirale progresse rapidement. L’inauguration du site aura lieu cet hiver dans le cadre d’un événement public que nous annoncerons dans les semaines à venir. Pour l’heure, le site actuel de Radio Spirale est plus actif que jamais et offre régulièrement une nouvelle programmation.
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Après la publication de deux dossiers consacrés aux « Enjeux de la laïcité », le magazine accueillera de nouveau en ses pages, dans son numéro d’été, un dossier sur une question d’actualité dont les enjeux sociaux, politiques et philosophiques sont des plus importants : « Les réfugiés », sous la direction de Michel Peterson (no 237, été 2011). Grâce à la collaboration de Louise Déry, nous aurons également la chance de publier, dans ce numéro, un portfolio consacré aux travaux de l’artiste Shary Boyle. Auparavant, notre prochain numéro sera l’occasion pour Spirale de participer à la réflexion sur les rapports entre les arts et les nouvelles technologies. Grégory Fabre et Anaïs Guilet proposeront en effet à nos lecteurs un dossier intitulé « Relations hybrides : arts et technologies numériques » (no 236, printemps 2011). Le portfolio de ce numéro de printemps, présenté par Céline Mayrand, sera consacré aux travaux et aux œuvres de Cozic (Monic Brassard et Yvon Cozic).
Bonne lecture !