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Le cinéma documentaire semble jouir aujourd’hui d’un attrait important après une décennie durant laquelle certaines productions, étasuniennes faut-il dire, ont connu un succès improbable sur le grand écran. Il ne faut tout de même pas exagérer cet engouement du public pour ce genre de cinéma, les gains restent modestes au guichet. Cela n’empêche pas toutefois d’envisager la prospérité du documentaire autrement, en évitant de l’évaluer de manière strictement économique par exemple. Il va de soi que le documentaire, comme tout genre cinématographique ou d’art tout court, est une pratique qui se renouvelle. Jean Breschand l’exprime très bien dans son essai Le documentaire, l’autre face du cinéma en indiquant qu’il « se veut le champ d’exercice d’une inquiétude en mouvement. Une inquiétude relative aussi bien à l’état du monde qu’à la façon dont le cinéaste s’y inscrit, s’y trouve ou ne s’y trouve pas. Dégagé de toute obligation […] il prend en charge la simple condition d’être comme tout un chacun. Il ne parle pas de haut, mais au fil du plan. Il s’immerge dans l’air du temps et filme l’instant de son tremblement. Ce mouvement vers le monde est toujours à recommencer, et toujours il s’incarne dans de nouvelles figurations. Ce sont les formes mêmes de la fiction, c’est-à-dire de notre appréhension imaginaire du monde, qui se voient ainsi renouvelées ». Il va également de soi que ce renouvellement diffère en importance d’une époque à l’autre. En proposant ce dossier, nous avons voulu savoir si le documentaire était associé à une époque où son renouvellement est, pour ainsi dire, accéléré, à une époque où sa pratique s’est modifiée considérablement.
Notre curiosité arrive à un moment opportun. Lorsqu’on se met à réfléchir aujourd’hui au documentaire québécois, la plupart des titres ou des noms qui nous viennent à l’esprit appartiennent au passé : un passé pas trop lointain, mais tout de même au passé. Que l’on pense aux films de Pierre Perrault et de Michel Brault à l’Isle-aux-Coudres, à On est au coton de Denys Arcand, aux images de Gilles Groulx ou d’Arthur Lamothe ou encore à la voix de Jacques Godbout. Nous pensons immédiatement à ces films parce qu’ils font partie du répertoire d’œuvres qui ont fait le cinéma d’ici. Nous y pensons aussi parce qu’ils ont su non seulement transmettre les multiples formes de la réalité matérielle, spirituelle et culturelle, mais surtout parce qu’ils ont créé, fabriqué, bricolé une façon de montrer cette réalité. Il s’est dégagé de ce travail sur la perception de la réalité — travail minutieux de l’œil et de l’écoute — une valeur artistique indéniable. Voilà pourquoi leur visionnement soulève encore aujourd’hui l’enthousiasme, comme si ces films n’avaient pas vieilli, même si leur contenu, lui, nous ramène au passé. Voilà pourquoi il convient aussi de renouveler notre curiosité lorsqu’on songe présentement au documentaire, car si la réalité s’est transformée, la manière de la voir doit aussi avoir changé. Notre curiosité ne se satisferait pas de l’oubli cependant, car les films ou les cinéastes qui nous intéressent dans ce dossier se sont tous engouffrés volontairement ou non dans la brèche que Perrault, Brault et consorts ont ouverte en considérant le documentaire non pas comme la version longue et noble d’un reportage mais comme une œuvre d’art qui engage un imaginaire, une sensibilité, une relation, une vision et une écoute. Il va sans dire alors que notre conception du documentaire est restreinte par cette condition, et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’ensemble des films qui auraient pu apparaître dans ce dossier ne composent pas un aussi vaste répertoire que celui que l’on attribue communément au documentaire en tant que « document », au sens étymologique, « qui sert de preuve ou d’information ».
Nous avons demandé à tous les collaborateurs d’interroger le présent de la pratique documentaire au Québec en le mettant en perspective, au regard, d’abord, d’un passé qui a marqué durablement le genre (1960-1970), ensuite, de la production internationale et, finalement, de la nouvelle technologie qui le rend accessible, tant sur le plan de la production que de la diffusion. Si ce dossier ne répond pas, bien sûr, de façon exhaustive à cette interrogation, il offre toutefois un très bon aperçu des productions dont il est plus souvent facile d’entendre parler que de les voir.