Actualité de Parti pris

Retour au numéro: 

En octobre 1963 paraissait le premier numéro de la revue Parti pris. Le présent dossier n’aurait pu voir le jour à un moment plus opportun : il coïncide avec le cinquantième anniversaire de la revue qui, comme nous le rappelle Jacques Pelletier dans l’introduction de son anthologie (recensée dans ces pages), est apparue comme « un météore dans le ciel du Québec ». Bien qu’il ait été de courte durée (1963-1968), le phénomène Parti pris a marqué profondément l’histoire intellectuelle du Québec, en accélérant notamment son entrée dans la modernité. S’il est vrai que la « révolution nationale et économique du Québec » prônée par les fondateurs n’a pas eu lieu, que les Québécois ne sont pas passés « de la révolte à la révolution » comme Pierre Maheu en appelait de ses vœux dans le premier numéro, il n’en demeure pas moins que Parti pris a bouleversé l’ordre politique et culturel qui prévalait dans les années soixante. La revue fut un formidable laboratoire de pensée, regroupant autant des textes littéraires, dont certains sont devenus incontournables, que des essais politiques à saveur polémique ou à visée didactique. Rares ont été les lieux, au Québec, où ont dialogué de façon aussi féconde l’art, la littérature et la politique. Parti pris permit, mieux qu’aucune autre revue, de décrire « objectivement » l’aliénation des Québécois, tout en exprimant des aspirations — l’indépendance, le socialisme, le laïcisme — reflétant la « conjoncture internationale de luttes anti-impérialistes », comme le mentionne Paul Chamberland dans une entrevue publiée dans ce dossier. 

Autour des membres fondateurs — André Brochu, Paul Chamberland, Pierre Maheu, André Major, Jean-Marc Piotte —, se sont rassemblés Denys Arcand, Yvon Dionne, Jacques Ferron, Jacques Godbout, Camille Limoges, Robert Maheu et Pierre Vadeboncœur. Au fil des numéros, nombre d’autres intellectuels et écrivains se sont joints à eux en publiant dans la revue. Il suffit de penser à Hubert Aquin, Jacques Brault, Raôul Duguay, Gérald Godin, Gaston Miron et Patrick Straram pour ne nommer que les plus connus. Parti pris a été l’initiative d’intellectuels au tout début de la vingtaine (entre 21 et 24 ans), mais qui avaient déjà engagé une réflexion visant à comprendre et actualiser le sens de leur révolte. Dans un texte paru dans le premier numéro, Pierre Maheu retraçait l’origine de son malaise : « Notre enfance ; c’est là vraiment que tout commence ; à tel point que pour en bien parler, il faudrait parler de tout à la fois, puisque l’enfance fut notre prise de contact avec l’aliénation que nous imposait une société aliénée. […] La forme de cette révolte variait selon les individus, mais la démarche était fondamentalement la même. Tout nous était matière à opposition ; c’était, pour reprendre l’expression d’un précurseur, un Refus Global. » On peut s’étonner du point de vue d’emblée rétrospectif adopté par le jeune auteur qui visait à démontrer que la publication de cette nouvelle revue n’était pas à prendre à la légère, mais qu’elle découlait d’une prise de parole mûrement réfléchie, fondée sur un constat sociopolitique qui poussait ses collaborateurs à s’engager dans la lutte. Pour ces derniers, il était temps de rompre radicalement avec le passé et l’idéologie dominante. La revue constituait en ce sens un passage à l’acte. Elle était le signe de l’accession à une maturité nouvelle, le témoignage d’un engagement individuel.

Ainsi, Jonathan Livernois a raison d’avancer, dans son compte rendu de la correspondance entre Jean-Marc Piotte et Pierre Vadeboncœur, que si les collaborateurs de la revue visaient un objectif commun — celui de libérer la société québécoise d’une multitude de jougs —, leur parole exprimait aussi « la joie de devenir ce que l’on est ». L’on ne peut dissocier cette volonté de transformer le monde de la nécessité de se transformer soi-même. Paul Chamberland et Jean-Marc Piotte, dans les entretiens publiés dans ce dossier, rappellent combien l’influence de Patrick Straram leur a permis de prendre conscience que la révolution se devait d’abord d’être individuelle. Cela explique sans doute le passage de Paul Chamberland, au début des années soixante-dix, de l’engagement politique à la contre-culture.

Dès les premiers textes publiés dans la revue, on perçoit l’importance accordée à la prise de conscience, mais aussi à la découverte et à l’invention, à la nécessité de faire place à « une nouvelle façon de penser au Québec, et de penser leQuébec », comme le mentionne André Brochu dans l’entretien accordé à Micheline Cambron. Or, les fondateurs ont aussi eu l’intelligence de se reconnaître des alliés parmi les intellectuels de la génération précédente, qu’il s’agisse des signataires de Refus global ou encore de Jacques Brault, Jacques Ferron et Pierre Vadeboncœur. Ce dernier, dans un texte paru dans le numéro d’ouverture, invitait les lecteurs à prendre en compte cette parole nouvelle : « Je salue donc Parti pris. Il n’y aura autre chose à faire avec ce parti pris que de le prendre à parti. Les jeunes gens qui font cette revue sont en droit de s’attendre à ce qu’on les entende et qu’on parle avec eux ; j’espère que nous aurons changé un peu depuis le temps de Borduas. »

Si les « partis pris » de ce « Front de libération intellectuel », selon l’expression de Pierre Maheu reprise par André Major, ont provoqué un durcissement des positions au sein du champ culturel et politique, ils ont bien davantage engendré des liens de complicité, un climat de fraternité, voire des réseaux de filiation. Tout un lectorat a souscrit aux idées promulguées par la revue et celle-ci a constitué un lieu d’échanges pour plusieurs écrivains et intellectuels. Par ailleurs, il faut rappeler à quel point Parti pris a permis la diffusion de la philosophie sartrienne, de même que celle de la pensée des théoriciens de la décolonisation (Jacques Berque, Frantz Fanon, Albert Memmi).

En plus des contributions portant sur la réédition d’ouvrages phares sur Parti pris (Lise Gauvin, Robert Major), sur la nouvelle anthologie réunissant des textes parus dans la revue, sur la correspondance Piotte-Vadeboncœur et sur le rôle de Gérald Godin aux Éditions Parti pris, ce dossier regroupe quatre entretiens avec les membres fondateurs. En outre, deux essais attestent, chacun à leur manière, de l’influence profonde et durable de la revue.

Certes, Parti pris ne défraie plus la chronique, mais son héritage est on ne peut plus actuel. C’est du moins ce dont ce dossier spécial, qui lui est consacré, a voulu témoigner.