Actualité de Ferron

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Écrivain majeur, Jacques Ferron, décédé en 1985, jouit toujours d’un rare privilège, celui d’occuper, et sans interruption, une place de choix dans la chaîne intergénérationnelle de la critique. Jusqu’à tout récemment cependant, l’intérêt qu’on lui portait ne dépassait guère les murs de l’Université, l’auteur étant très peu lu par le grand public. Que s’est-il passé pour que, coup sur coup, cet intérêt se manifeste à partir de trois lieux de diffusion indépendants du milieu de la recherche : chez Lanctôt éditeur, la réédition deRosaire précédé de L’exécution de Maski; à l’Office national du film du Canada, Le cabinet du docteur Ferron de Jean-Daniel Lafond, présenté à Télé-Québec, et, au Théâtre d’Aujourd’hui, la création de la pièce de Michèle Magny, Un carré de ciel, inspirée des œuvres et du personnage de Ferron? Comment expliquer cette subite présence hors du cercle des initiés, et quel sens y trouver (si sens il y a)? Cette question en appelle une autre, car comment ne pas être étonné que ce Ferron ne soit pas celui de la verve conteuse, de l’humour, des grands récits porteurs du rêve québécois, mais celui d’une parole qui s’épuise, qui retombe sur elle-même, inquiète, qui hante les lieux de la folie et de la mort?

Le dépôt dans les années quatre-vingt-dix d’importantes archives ferroniennes à la Bibliothèque nationale du Québec a permis de découvrir un pan inconnu, ou presque, de l’écriture de Ferron, entre autres le manuscrit de ce qui devait être « l’œuvre », mais qui fut, de son propre aveu, un « échec », un« désastre », Le pas de Gamelin, toujours inédit, œuvre néanmoins nourricière, comme en témoignent le film de Lafond et la pièce de Magny. Nous en publions ici un extrait avec l’aimable autorisation de la Succession Jacques-Ferron. Cette découverte, bien sûr, n’est pas une réponse. Elle oblige toutefois à relire l’œuvre et à reposer la question de son actualité et de son sens à partir de ce qu’elle n’était pas encore il y a vingt ans, c’est-à-dire en tenant compte de ce que les inédits en ont révélé et de l’intérêt récemment manifesté par les créations qu’ils ont suscitées.

Le dossier s’organise autour de trois œuvres :L’exécution de Maski de Ferron, Le cabinet du docteur Ferron de Jean-Daniel Lafond et Un carré de ciel de Michèle Magny que commentent respectivement Catherine Mavrikakis, Patrick Poirier et Pierre L’Hérault. Pour sa part, Brigitte Faivre-Duboz a demandé à Michèle Magny et à Jean-Daniel Lafond ce qui, chez Ferron, les a inspirés et amenés à créer leurs œuvres. Dominique Garand et Gilles Dupuis, ouvrant la perspective, s’intéressent à la « survie » de Ferron et à son rapport à l’institution littéraire. Le premier voit« surgir la figure de Ferron comme une exception, celle d’un trickster en perpétuel déplacement sur l’échiquier idéologique » alors que le second, refusant au « seul vrai moraliste québécois » la filiation des écrivains« suicidistes », en fait « le premier de nos écrivains heureux », le plaçant dans la lignée des Montaigne, La Rochefoucauld et La Bruyère.

Évidemment, ce dossier ne peut que rester ouvert, d’autant que nous avons cherché à y cerner l’actualité de l’écrivain et la contemporanéité de l’œuvre à partir de productions très rapprochées dans le temps. Ouvert également parce que les questions et les positions de nos collaborateurs, leurs certitudes et leurs incertitudes, se croisent librement en rencontres et en débats. C’est ce dialogue, à l’aube du vingtième anniversaire de la mort de Ferron, qui ne saurait se clore en ces pages.