Redirection en cours

1_nos-ghettos_c_patrice-lamoureux_9512_0
03.06.2018

Nos ghettos, un spectacle de La Tourbière, texte J-F Nadeau; mise en scène de Stéfan Boucher et J-F Nadeau; interprétation de J-F Nadeau + Stéfan Boucher + Olivier Landry-Gagnon; musique de flone : Stéfan Boucher et Olivier Landry-Gagnon; voix de Gisèle Kayembe; décor de Jonas V. Bouchard; costumes et accessoires de Elen Ewing; lumières et régie de Jeanne Fortin-L.; vidéo de Geneviève Albert. À la salle Jean-Claude Germain du Centre du théâtre d’Aujourd’hui (Montréal) jusqu’au 6 juin.

///

Au coin de la rue Bélanger et de la 2e avenue, J-F Nadeau et son acolyte Stéfan Boucher nous invitent à venir errer dans leur ghetto. Point de rencontre de Rosemont, Saint-Michel et Villeray, Nadeau parle de ce no man’s land, comme il l’appelle, pour asseoir une réflexion sur le vivre-ensemble. Au centre de l’île, des communautés se juxtaposent dans un même quartier sans jamais se croiser, comme si chacun y suivait une orbite précise qui empêche la rencontre d’advenir. Choqué par cette autarcie culturelle, Nadeau se transforme en ethnologue-urbaniste motivé par un désir net de comprendre, voire même décrier la situation. Devant le refus des communautés et des commerces à ouvrir le dialogue – tant au quotidien que lorsque Nadeau les a approchés pour un projet de théâtre documentaire – l’interprète brode la pièce Nos ghettos dans l’optique de questionner ces enclos où il ne fait pas nécessairement bon vivre, où l’on s’accroche les pieds dans la souche de notre nationalisme quand on ne s’aveugle pas des œillères de notre multiculturalisme.

2_nos-ghettos_c_patrice-lamoureux_9411-1

Heureux qui comme Ulysse

Dans le petit espace de la salle Jean-Claude-Germain, Nadeau crée une scène surélevée, qui devient à la fois appartement, bloc d’habitations, clinique, dépanneur, studio de musique et capharnaüm. Olivier Landry-Gagnon est à la régie, qui est étonnement placée au même niveau que le public, mais à l’avant de la scène. Le spectacle débute comme toute banale journée : sortant du plancher (pour une raison qu’on ignore encore), Nadeau et Boucher, vêtus uniquement de sous-vêtements, s’habillent avant de prendre place. De la rencontre avec ce bénévole pour Médecins Sans Frontières qui arrive au mauvais moment dans la matinée jusqu’à celle qui le met en présence de cette réceptionniste de clinique médicale qui écoute du Whitney Houston, on suit Nadeau dans ses pérégrinations jusqu’à ce que la réelle quête advienne : acheter du beurre, du pain tranché, du fromage en tranches et de la soupe aux pois pour le dîner. Aussi loufoque que cela puisse paraître, c’est cette recherche qui tiendra lieu de fil d’Ariane, celle qui est censée transformer notre comédien en Ulysse des temps modernes.

Il est clair que tout ça n’est que prétexte, un (faible) moteur narratif employé pour nous faire entrer dans ce fameux ghetto qui traumatise tant le « personnage » de la pièce. Nadeau dépeint un pan de rue comme un enfer de repli sur soi, tout aussi individuel que communautaire.  Un pan de rue comme on a l’impression d’en connaître tant à Montréal, orné de divers salons de coiffure, d’épiceries congolaises ou maghrébines ou de dépanneur chinois. La quête d’un dîner qui transpire le Canadien français est bien sûr secondaire. Les réflexions de Nadeau viennent par à-coups tout au long de la représentation et elles semblent parfois encore brouillonnes. Si le fossé est grand entre nationalisme réactionnaire et multiculturalisme à la Trudeau (père), la ligne est mince entre réflexion pertinente sur un enjeu intellectualisé et glissement xénophobe ou intolérance. Il est évident que Nadeau assume pleinement le relent provocateur de sa performance, mais reste que la proposition semble trop embryonnaire pour qu’on y voit une parole claire, c’est ce qui empêche le résultat de faire mouche.

« Provocante, tu fais exprès »

Stéfan Boucher, quant à lui, enveloppe la représentation d’airs métissés, tantôt à la basse, au saxophone ou derrière sa console. Il interprète aussi tout le voisinage rencontré par Nadeau lors de son périple, multipliant grossièrement les différents accents pour un effet comique qui semble pourtant demeurer vulgaire. Trois chansons ponctuent la représentation, qui court sur près de deux heures : en plus de ne pas être particulièrement appréciables, on se demande ce qu’elles ajoutent à la proposition en dehors de sa prolongation. Si la complicité entre les deux hommes est criante, le projet n’est pas clair pour autant. Le spectateur comprend ce qu’on essaie de faire, sans nécessairement être convaincu par le résultat.

3_nos-ghettos_c_patrice-lamoureux_9468-1

Tout au long de la pièce, Nadeau est accompagné d’une poupée très laide que son voisin lui a remise. En plein centre du décor, elle prend vie par un mécanisme (volontairement) bancal et incarne la voix du ghetto. S’adressant à l’interprète avec une voix robotique et avec des mouvements disloqués, ses interventions semblent situées à mi-chemin entre le rêve démoniaque et le guide personnel tout droit sorti de nos pires cauchemars. La représentation est complémentée de projections, tantôt de la poupée en question, tantôt de vidéos des commerces fréquentés ou de Nadeau, enfermé sous la scène. L’écran est roulé et déroulé à quelques reprises durant le spectacle, brisant plutôt que ponctuant le rythme.

Si Nadeau désirait critiquer l’angélisme ambiant de l’homme blanc moyen qui se complaît dans la ghettoïsation de sa ville et dans la stigmatisation des communautés qu’il échoue à intégrer, le spectacle passe un peu à côté en se perdant dans des élans de provocations plutôt futiles. Le poids des mots semble se perdre : on se dit que c’est désiré, fort probablement pour décrier le politically correct qui ruine toute réelle amorce de discours et tout rêve de rhétorique, mais on ne parvient jamais à trouver la finesse du propos et de l’analyse pour le justifier. On aurait dû toutefois s’en douter dès le départ, dès qu’on a compris qu’on qualifiait ici le nord de Rosemont et le sud de Villeray comme un ghetto. Il nous semble qu’une mise en mot de l’échec auquel était voué la réflexion aurait eu un vernis plus touchant que cette provocation puérile, qui demandera encore beaucoup de travail avant sa reprise en octobre dans ce même théâtre.

4_nos-ghettos_c_patrice-lamoureux_9270-1

crédits photos: Patrice Lamoureux

Articles connexes

Voir plus d’articles