Recherche de l’équilibre précaire entre académie et divertissement

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Off-CIEL 6 : Skis et semi-automatiques. Présenté le 24 mars 2015 aux Katacombes, Montréal.

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Événement pouvant être décrit comme l’interpénétration d’un colloque académique et d’une soirée de performances, le OFF-CIEL se veut, depuis quelques années (nous en étions à la 6e édition), un exutoire où des chercheurs universitaires en arts et sciences sociales s’autorisent à offrir des présentations sur des sujets dont on pourrait croire qu’ils seraient sans doute jugés trop saugrenus, étonnants et/ou frivoles pour trouver leur place au sein des cercles académiques traditionnels.
 
Par exemple, cette année, on a eu droit à des conférences portant sur les selfies (égoportraits), Michel Louvain et les chanteurs de charme, les dynamiques de gender dans les compétitions d’air guitar, les canulars d’art félin, le cosplay et j’en passe. Animée par le duo Poème Sale, jamais à court de réparties à l’humour pince-sans-rire grinçant, la soirée a également été ponctuée de lectures par deux auteurs des Éditions de Ta mère (Mathieu Handfield et Jean-Philippe Baril-Guérard), d’une performance musicale de Maxime Catellier et d’une projection vidéo, gracieuseté de Total Crap, en guise de conclusion.
 
Programme très, voire trop, chargé pour un événement où sont proposées des réflexions soutenues dans des perspectives variées, que même les spectateurs les plus enthousiastes et déterminés finissent par avoir peine à absorber.

 

 

Je sais, pour avoir fait partie du comité d’organisation de l’événement pendant plusieurs années, que pour les organisateurs, l’intention du OFF-CIEL n’est ni de dénigrer l’institution officielle académique ni de la singer, mais plutôt de proposer un cadre plus relâché où il est possible, pour les jeunes et moins jeunes chercheurs, de faire des tentatives, d’explorer des sentiers de réflexion peu arpentés faute de temps ou d’incitation à le faire, bref, de mettre ce qui se trouve en périphérie de leurs réflexions au centre de leur propos le temps d’une communication.

Avec le temps, certains des participants ont toutefois pu présenter des travaux au cœur de leurs pratiques de chercheur. Évidemment, en raison du contexte particulier où se tient l’événement — dans un lieu qui permet, voire encourage, la consommation de boissons alcoolisées, et à une heure où les enfants sont couchés et la journée de travail, terminée –, une consigne implicite, ou à tout le moins un critère qui s’est tranquillement imposé d’une édition à l’autre de l’événement, est de présenter son propos d’une manière divertissante.

 

Et ce sont les consignes duelles de présenter un propos à la fois intelligent et captivant qui fondent la particularité du OFF-CIEL. Il est à mon avis étonnant, voire désolant, que ces consignes ne soient pas présentes d’office dans toute forme de communication académique. Prendre part à un colloque «sérieux» ne devrait pas exempter un participant de prioriser la rétention de l’attention de son auditoire, aspect souvent sacrifié afin de mettre l’accent sur la complexité de la pensée étalée en 20 minutes.

Les participants du OFF-CIEL peuvent se «permettre» de faire davantage de blagues qu’ils n’oseraient le faire en d’autres circonstances, et à mon avis, cet ajout ne fait que contribuer à la qualité des communications.

 

 

Il existe toujours le risque qu’un participant opte pour l’option facile de faire de l’humour sur le dos du monde académique, en singeant le discours universitaire pour mieux le dénigrer. Cette posture rhétorique n’aurait rien d’impressionnant en terme de créativité, et trouve à mon avis sa meilleure démonstration par le biais de ce générateur de texte postmoderne.  Heureusement, aucun des participants de la plus récente édition du OFF-CIEL n’a commis cet impair : Mathieu Laflamme, lors de sa communication portant sur les canulars d’art félin, a mentionné que «comme tout bon littéraire, je me suis tourné vers Gérard Genette pour trouver une explication à ce phénomène», mais cette remarque a été lancée au cours d’une partie de son exposé où il vulgarisait de manière fluide et efficace plusieurs concepts théoriques pertinents pour son propos.

En somme, à chaque année, le OFF-CIEL met en jeu une nouvelle itération d’un débat qui opposerait deux postures : celle de l’académicien rigoureux dont les propos opaques n’est intelligible que par ses pairs aussi érudits que lui et celle du vulgarisateur qui dévoie sa pensée au nom de la spectacularisation. Ce conflit des postures a d’ailleurs été «mis en scène» de brillante manière lors de la communication sur le cosplay (mot-valise combinant costume et play, où les participants créent des déguisements et interprètent des rôles, souvent à l’image de personnages de fiction issus de la culture populaire) par Clara Charles, où dialoguaient trois voix correspondant à des postures divergentes et qui a démontré que le débat interne qui habite le chercheur au sujet de la bonne attitude à adopter en tant qu’intellectuel n’est jamais complètement résolu.

Dans ses meilleurs moments, l’événement parvient à démontrer que ces deux postures n’entrent pas nécessairement en conflit puisqu’il est tout à fait possible de les combiner dans un équilibre moins difficile à atteindre qu’on pourrait le croire.

Certes, certaines communications sont trop rigides – elles sont souvent dues à un manque d’expérience, qui n’autorise pas encore à se décomplexer pour les besoins de l’événement – ou encore trop relâchées. Dans tous les cas, le OFF-CIEL n’en demeure pas moins un espace d’expression débridé pour intellectuels civilisés en manque de latitude et qui peuvent, pour paraphraser Apollinaire, ôter leurs cravates douloureuses afin de bien respirer.

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