Pérégrinations cinématographiques de Sophie Bédard Marcotte

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22.01.2020

Sophie Bédard Marcotte, L.A. Tea Time, Maestro Films, 2019, 84 minutes.

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Le film s’ouvre sur une scène d’hiver. À l’horizon d’un paysage tout enneigé, deux petites silhouettes avancent lentement, sous les rafales de vent. Le plan dure plusieurs secondes, puis est suivi d’un zoom arrière. Ce qu’on voyait n’était en réalité qu’un vidéo diffusé sur un écran de télévision que Sophie Bédard Marcotte – encore une fois devant la caméra pour ce deuxième long-métrage – s’apprête à fixer au mur d’une salle d’exposition. Cette ouverture est bien trouvée, d’abord en ce qu’elle permet d’indiquer d’entrée de jeu qu’il sera question de la fabrique du cinéma, que L.A. Tea Time est en grande partie un film sur ce que veut dire faire un film. L’ouverture permet en outre à Sophie Bédard Marcotte de d’inscrire L.A. Tea Time dans la continuité de son premier long-métrage, Claire l’hiver. C’est pendant la postproduction de ce film que la réalisatrice a eu l’idée de départ de son dernier opus.

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La fabrique du cinéma

L’idée, c’était de faire un film autour d’un projet de rencontre avec l’artiste et réalisatrice Miranda July, qui compte parmi les influences de Sophie Bédard Marcotte. Cette dernière se représente ainsi dans l’après Claire l’hiver, alors que son trentième anniversaire induit un retour sur son parcours et qu’en l’absence d’un projet cinématographique, elle paye les factures en traduisant des reviews pour des établissements hôteliers. C’est ce qu’elle explique dans les messages audios qu’elle enregistre dans le but de prendre contact avec Miranda July, ce qu’elle fait finalement par courriel. On assiste alors au départ de Sophie pour Los Angeles – où vit July – en compagnie de sa complice et directrice photo, Isabelle Stachtchenko.

Le voyage vers Los Angeles occupe le reste du film. Mais si L.A Tea Time emprunte au road movie, c’est dans la mesure où ce schéma narratif permet l’élaboration d’une pensée et d’un questionnement sur la pratique cinématographique. L’errance sur la route rejoint l’errance propre à un certain type de création artistique. Ce thème est notamment développé par l’entremise d’extraits d’entrevue où l’on entend Chantal Akerman, une autres des figures de référence de Sophie Bédard Marcotte. Akerman dit faire ses documentaires sans idée préconçue, avec une écoute et un regard flottant, devenant ainsi une sorte d’éponge prête à absorber des éléments de réel. Ce n’est que bien longtemps après que le sens de ses films lui apparaît plus clairement. L’errance serait donc cette disponibilité attentive qui permet de faire une œuvre sans connaître à l’avance tous ses paramètres ni son aboutissement.

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Les différents aspects de la conception et de la production cinématographiques sont évoqués dans le film, souvent avec un regard empreint d’humour et de ludisme. Les contraintes budgétaires avec lesquelles doivent composer les réalisateurs, au lieu d’être un obstacle, sont abordées explicitement par la réalisatrice et finissent même par servir la forme du film. On insiste par ailleurs sur la question du plan, notamment quant à savoir ce qui rend un plan intéressant, réussi ou significatif. Effets de flou, ajustements de l’exposition, caméra à l’épaule et animations à l’aspect un peu bricolé, entre autres, sont autant de références au medium avec lequel crée Sophie Bédard Marcotte.

« Comme dans les vrais documentaires »

L.A. Tea Time est un documentaire qui tient de la fiction, au sens où le projet repose sur un schéma narratif prédéfini, quoique minimalement. Sophie Bédard Marcotte filme sa propre expérience, réfléchit à son œuvre en même temps qu’elle la construit, entre Montréal et Los Angeles. Le voyage tient de la quête, autant personnelle que professionnelle, idée soulignée par une série d’allusions au Magicien d’Oz qui font ponctuellement pencher le film du côté du réalisme magique. Sophie Bédard Marcotte se permet une liberté formelle qui lui est en partie inspirée par Miranda July, puisqu’elle dit admirer cette dernière pour sa capacité à connaître le succès malgré son audace et son refus des compromis. On trouve donc dans L.A. Tea Time plusieurs propositions intéressantes, même si en somme le film est assez léger et que rien n’y vient drastiquement bousculer nos repères.

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Malgré une perspective personnelle, le film insère des bribes de réel, fait signe à plusieurs reprises vers l’état du monde. Comme on l’a dit, l’intention première du film est moins documentaire qu’expérientielle. En route vers Los Angeles, Sophie Bédard Marcotte avance ainsi à sa partenaire qu’elles devraient « rencontrer des gens comme dans les vrais documentaires ». Au fil des discussions entre les cinéastes et ceux qu’elles rencontrent sur leur chemin, on repère des allusions aux conflits au Moyen-Orient, à Trump ou encore aux nouvelles technologies. La caméra construit peu à peu un portrait partiel des États-Unis, qui récupère certains de ses lieux communs, de ses images usées. Mais comme l’objectif de L.A. Tea Time n’est pas de dire quelque chose des États-Unis, la perspective réussit à être assez neuve et ces éléments s’insèrent assez bien dans le film, avant tout caractérisé par la recherche et l’exploration.

L. A. Tea Time offre une incursion stimulante dans la fabrique du cinéma et dans l’univers artistique de Sophie Bédard Marcotte, dans un mélange des formes et des références original et bien exécuté. Les aléas de cette approche ouverte au hasard des rencontres et à l’errance font que, parfois, le résultat n’est peut-être pas aussi saillant qu’il l’aurait été avec une direction plus précise. Mais la confrontation au réel, via le documentaire, permet de faire ressortir une véritable réflexion sur le cinéma. À la fin du film, on comprend que de passer par le documentaire aura permis à la réalisatrice de mieux retourner à la fiction, dans une pratique ou l’une se nourrit de l’autre – et vice versa.

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