Nos obstacles chéris

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05.10.2018

The Daughters of Quiet Mind, un spectacle produit par le collectif Anavolodine ; chorégraphie et interprétation : Myriam Arseneault Gagnon ; chorégraphie : Laurence Lapierre ; conception sonore : Jonathan Goulet ; conception lumière : Hugo Dalphond.

Topo, une chorégraphie d’Ariane Dessaulles ; interprétation et collaboration à la création : Ariane Dubé-Lavigne, Laurence Dufour, Kim L. Rouchdy, Jeimy Oviedo ; composition et conception sonore : Joey Zaurrini ; conception vidéo : Emilie Allard ; scénographie : Marie Lépine ; conception des éclairages : Darah Miah ; conception des costumes : Jessica Boucher.

Présentés en programme double à Tangente (Montréal) du 4 au 7 octobre 2018.

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Une force tranquille

La performance The Daughters of Quiet Mind captive le public tout au long de ses trop courtes 25 minutes. Myriam Arseneault Gagnon nous tient dès le début. Pendant que les spectateurs prennent place, l’interprète, seule sur scène avec une longue bâche blanche, surplombée d’un néon qui traverse toute la scène en diagonale, a déjà amorcé sa danse en faisant les cent pas derrière la toile au sol. Ses gestes sont aussi discrets que l’ambiance sonore, légèrement stridente. Puis, dans une transition si fluide qu’elle paraît inexistante, le spectacle débute. Tout le monde est installé : le jeu commence. La danseuse s’exerce en de savantes modulations rappelant celles de l’automate, et ses séquences dansées s’entrecoupent, un geste à la fois, une partie du corps isolée à la fois, entre chaque respiration. La danse a quelque chose de ludique et sérieux mais, surtout, de complètement hypnotique.

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L’immersion, avec la bâche comme prétexte, explore les perceptions sensorielles avec la matière et le son. La musique fait réagir le corps, qui, lui, fait réagir la toile, qui, elle-même, produit ses effets sonores, et devient également un monde, plusieurs mondes. Cette toile se fait défi pour l’interprète et suspense pour le spectateur, qui suit sa transformation au rythme vibrant de la musique. Le spectacle devient transe, une pulsation grondante sur laquelle se colle parfaitement (mais tout en simplicité) une scénographie éclatante, qui repose sur l’éclairage blanc et les couleurs franches du costume. The Daughters of Quiet Mind offre une poésie du quotidien, un langage absolument dépouillé, tout en abordant la question de la solitude d’un point de vue serein, voire ludique à certains moments. On trouvera donc des images de nos gestes somme toute communs, comme celui de faire l’ange dans la neige, d’émerger des vagues, de se laisser tomber sur un divan, ou de plonger sur un lit, etc. Au plus fort de la pièce, l’interprète parvient carrément à faire danser la toile.

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Ce qui surprend, malgré cette simplicité, ce sera le style de l’interprète, qui, bien que soutenu tout au long de la performance, contient plusieurs brisures de rythme qui ne font qu’ajouter à l’ensemble. Myriam Arseneault Gagnon a un style étonnamment solide malgré son allure fragile et il semble que, dans The Daughters of Quiet Mind, ses mouvements prennent leur ancrage dans le regard et le souffle (la respiration est si importante qu’elle semble parfois artificielle). C’est bien cette respiration qui porte le rythme continu, soutenu de la danse tout au long de la pièce : un rythme à l’élan constamment interrompu qui, comme le souffle, montre une endurance grande et discrète.

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En pièces détachées

Dans Topo, la danse, de même que la scénographie, nous plongent dans un univers géométrique, minimaliste. Quatre danseurs se trouvent sur scène, parmi des poteaux et des cubes, ainsi que devant un écran. Au départ, les danseurs présentent deux très beaux et très lents duos, dans lesquels sont explorés la symétrie et les effets miroirs. C’est le moment du spectacle où les danseurs seront le plus proches ; ensuite, tous les liens d’intimité se dégradent. L’ambiance sonore rappelle le grondement de la circulation urbaine et variera tout au long de la pièce sur les tons de l’interférence. Les deux duos explorent les diagonales, chacun à son rythme, ils se croisent. Leur disposition, avec l’aide des poteaux dispersés dans le décor, met l’accent sur l’effet de perspective. Les diagonales feront, du début à la fin, l’objet d’une réinvention où la ligne constitue l’élément esthétique principal.

Les motifs de l’architecture et de la géométrie se manifestent dans une gestuelle carrée et froide, mais elle est renforcée à l’aide du décor et de quelques projections à l’arrière de la scène, dont la plus intéressante consiste en une séquence de formes géométriques dans laquelle on voit défiler chevrons et carrés sur plusieurs variations, qui rappellent l’esthétique Bauhaus, ses lignes et ses angles droits. Cette projection appuie le propos et le ton de la pièce, pendant que les danseurs multiplient des mouvements rigides de bras.

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Dans une pièce dont les thématiques premières sont l’urbanité et l’urbanisme, il est logique de retrouver la marche comme motif récurrent, voire répétitif (croisements en ligne droite, en diagonale, marche en cercles – comme des pigeons –, marche du funambule). Plus encore, cette chorégraphie formaliste et très conceptuelle a un je-ne-sais-quoi de satirique, puisque c’est notre allure qui est présentée sur scène, celle des déplacements empressés de notre quotidien. Les autres motifs que l’on retrouve demeurent très minimalistes, et leur originalité est plutôt inégale : de la position de celui qui regarde les coups de l’horloge (très belle image) à celle des hiéroglyphes en ombres chinoises, jusqu’au quatuor d’automates qui prennent des mesures, juchés sur leurs pointes, l’effet créé est celui d’un geste de plus en plus solitaire, et d’un geste de solitude de plus en plus désincarné.

Il n’est pas étonnant de voir survenir en ce moment de tels questionnements, qui sont d’autant plus pertinent dans Topo, étant donné que l’évènement se déroule à l’intérieur de l’édifice du Wilder – le nouveau lieu de diffusion pour la danse à Montréal. Le message lancé apporte pourtant, avec la froideur de son aspect conceptuel, une sentence quelque peu sévère, qui insiste sur la préoccupation du lieu à habiter et sur lequel faire déteindre notre humanité. De là émerge la complémentarité du programme offert par Tangente, puisque la démarche du collectif Anavolodine questionne justement, avec une belle acuité, ce rôle que nous pouvons avoir sur les objets.

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crédits photos : Marie-Ève Dion et Calope. 

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