Les taupes s’éclatent! Et nous?

Philippe Quesne - La nuit des taupes (Welcome to Caveland!)
04.06.2018

La nuit des taupes, un spectacle de Nanterre-Amandiers – centre dramatique national, conception; mise en scène et scénographie de Philippe Quesne; interprétation d’Yvan Clédat, Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Erwan Ha Kyoon Larcher, Sébastien Jacobs, Thomas Suire et Gaëtan Vourc’h; costumes de Corine Petitpierre et Anne Tesson. À l’Usine C (Montréal) jusqu’au 5 juin.

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La nuit des taupes nous invite dans un terrier qu’on observe une heure durant par la lorgnette d’un microscope. Ces petites bêtes qui ont fait de la terre leur royaume nous convient, par l’entremise du metteur en scène Philippe Quesne, à partager une soirée de leur quotidien. Entre le labeur et la fête, les taupes se veulent à la fois attachantes et anarchistes. Elles sont sept, toutes aussi singulières les unes que les autres. Après avoir paradé en plein cœur de Montréal samedi, elles prenaient d’assaut l’Usine C pour un spectacle sans paroles où leur folie allait en quête de sens.

Philippe Quesne - La nuit des taupes (Welcome to Caveland!)

Terrier léché

Une petite salle banalisée se retrouve au centre de la pièce. Peu de temps après le début de la représentation, ses murs et son plafond de gypse léger se font trouer à la pioche et arracher par les immenses pattes griffues des mammifères. Ils y installent un tunnel dans lequel ils peuvent rouler une boule de terre, qu’ils trimballent partout. Après une petite pause qui succède au travail, on défonce tout pour découvrir quelques instruments de musique. Cette exploration du décor est au centre de la pièce et ces bêtes, entre le comique et la curiosité, dévoilent petit à petit toute la scénographie orchestrée par Philippe Quesne.

Philippe Quesne - La nuit des taupes (Welcome to Caveland!)

La scène est immense, comme une galerie souterraine ignorée de tous. Stalagmites et stalactites se retrouvent çà et là, une glissade d’un côté, un escalier de l’autre. Des crochets peuvent descendre et remonter du plafond lorsque les taupes découvrent les contrôles, alors que l’ensemble de la scène (et de la salle) se recouvrira de fumée opaque à plus d’une reprise. Le jeu sur la profondeur du décor et sur son éclairage, à contre-jour, fonctionne très bien : le résultat est à la fois ludique et léché. Quesne est scénographe de formation et on sent qu’il s’est éclaté ici en créant une pièce où le principal moteur narratif est la découverte et la destruction du décor et de l’espace. Dans une performance muette, la lumière, la musique et la mise en espace deviennent de névralgiques conducteurs de sens.

Mais après?

C’est donc dire que ces taupes peuvent jouer du thérémine, de la batterie, de la basse et de la guitare. Elles peuvent cabotiner sur une glissade tout comme elles sont en mesure de se promener sur une trottinette électrique. Elles peuvent mourir et s’endeuiller,  autant qu’elles peuvent faire l’amour et accoucher, dessiner sur le mur leur visage, fouiner partout sur la scène. Elles se font des coups pendables, parfois même la guerre ; elles nous ressemblent beaucoup, ces gigantesques taupes.

Philippe Quesne - La nuit des taupes (Welcome to Caveland!)

Mais vient un moment dans le spectacle où l’on se demande à quoi rime tout cela. Si la découverte du terrier, dans les premières minutes, ainsi que le plaisir d’entendre  résonner des instruments parvient à être à la fois touchant et loufoque, on se demande où Quesne cherche à nous mener. Lors de la scène où les taupes trouvent le cadavre de l’une d’entre elles – il s’agit d’un simple costume vide –, on commence, en tant que public, à s’accrocher à quelque chose. Même si le tout sombre dans le burlesque, on se dit qu’on tient aussi les débuts d’un arc narratif au moment de la naissance d’un bébé taupe. Le clin d’œil aux grottes de Lascaux, dans lequel une taupe se met à dessiner ses semblables sur le mur, nous fait espérer que Quesne va s’amuser avec ce jeu de miroir. Mais vient un moment où tout stagne, où les tableaux s’allongent et se répètent et où on se rend compte qu’on ne s’en va nulle part. Plusieurs spectateurs n’ont pas du tout boudé leur plaisir : il s’agit quand même d’un divertissement pur que de voir sept taupes géantes s’éclater dans un décor pendant plus d’une heure. Mais la question nette et plate demeure : qu’en reste-t-il ?

Philippe Quesne - La nuit des taupes (Welcome to Caveland!)

crédits photos:Martin Argyroglo

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