Les espaces habités

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11.11.2021

Non de nom, Une œuvre de : Line Nault ; Performance : Audrey Bergeron, Tony Chong, Jessica Serli, Peter Trosztmer ; Performance espace lointain : Alexandre St-Onge ; Lutherie numérique et dispositif médiatique audio-visuel : Alexandre Burton ; Lumière et scénographie : Simon Guilbault ; Costumes : Elen Ewing ; Accompagnatrice et conseillère artistique : Ariane Plante ; Direction photo Les refuges et Les fleurs : Philémon Crête ; Création et fabrication des fleurs : Brigitte Breault ; Musique additionnelle : Victor Burton Dallaire ; Direction technique : Alex Larrègle ; Configuration systèmes : Guillaume Arseneault ; Aide technique : Jimmy Lakato ; Régie technique tournage Les fleurs : Fanny Arsenault-Villeneuve ; Assistance technique tournage Les fleurs : David Lamarche ; Graphisme : Jannicke Morrissette. Présenté du 10 au 13 novembre 2021 à l’Agora de la danse.

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Dans la nouvelle œuvre de Line Nault, Non de Nom, le rôle tenu par la danse est celui d’habiter l’espace et le corps. Déconstruisant la scène de l’Agora de la danse le temps de présenter sa pièce déambulatoire, Nault donne à ses quatre interprètes de nombreuses commandes chorégraphiques. Les gestes sont inspirés du quotidien (ouvrir les rideaux, frotter des vases, porter des verres d’eau) et impliquent des déplacements entre cinq stations performatives.

Façades et décalages

La pièce explore le thème de la façade (se cacher dans un sac de couchage, derrière un bouquet de fleur, tendre les bras pour donner un cadeau) dans un registre qui vogue entre le tragique et l’absurde. Si la performance se proposait de questionner l’identité (qui suis-je), cette interrogation sous-jacente a donné lieu à une profonde distorsion de l’intime, de ses lieux, de ses objets, de ses mots et de ses mouvements. Le travail sur cette question des identités, en ce sens, est fait en telle profondeur que même les mouvements ont leur nom. Il apparaît toutefois, en bout de ligne, que l’œuvre parvient davantage à questionner notre rapport aux lieux qui nous entourent par les actions que nous y commettons (errer, réfléchir, contempler, donner, sourire, atteindre, ranger). Non de nom explore ce que ces lieux nous permettent de faire et de ressentir, à cause de leurs fonctions mais également d’un point de vue architectural et social.

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Ce concept, le mélange de ces thèmes et l’interrogation qui en découle, est absolument fascinant et rend le travail de recherche et d’installation des décors complexe et envoûtant. Ceux-ci évoquent à la fois des lieux courants, avec un quelque chose d’étrange, que l’on doit à leur insertion dans une trame dramatique d’une qualité visuelle par ailleurs époustouflante, qui s’élabore dans un registre à la limite de l’humour et du tragique. On peut en dire autant du magnifique syllabus, en marge, incluant une cartographie des lieux et de généreuses et intéressantes explications de l’œuvre. S’ajoute à cela le rythme soutenu d’une trame sonore subtile et pourtant indispensable qui donne un élan efficace aux danseurs.

Faire ou ne pas faire écran

Non de nom étant une performance interactive, le matériel dansé est exécuté en grande partie avec des accessoires (sac de couchage, fleurs, colonnes, rideaux) ou à l’intérieur des vidéos, lorsqu’il ne consiste pas en des gestes si quotidiens qu’ils se confondent presque avec la déambulation du public. Quelques rares solos ont lieu sans objets, dont l’un de Tony Chong. S’appuyant sur l’ambiance sonore minimaliste, Chong déploie une transe en devenant entièrement réceptif à l’énergie actuelle du lieu et aux spectateur.rice.s présent.e.s. On ne peut s’empêcher d’être impressioné.e par l’intensité requise pour générer une telle force créatrice devant, parfois, une seule âme (déambulatoire exige).

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On assiste également à des trouvailles très intéressantes dans les présentations vidéo. L’une d’entre elles fonctionne par superpositions entre rideaux et crée un effet d’inquiétante étrangeté, comme si les interprètes traversaient un miroir. La projection est visible de plus d’une station. Cela permet également de constater que plusieurs interprètes interchangent les rôles, et que les caractéristiques des stations (visibles ou moins, passage ou recoin) sont exploitées au maximum.

Au final, là où les concept de singularité des points de vue et d’identité fonctionnent sans doute le mieux pour le public, c’est dans le fait qu’aucun.e spectateur.rice sortant du spectacle n’a le même souvenir en tête. L’expérience dépend des préférences de chacun.e et du hasard qui guident nos pas. Toutefois, comme dans toute œuvre conceptuelle, il y a un pari à prendre d’entrée de jeu : puisque les danseur.euse.s performent en rotation, il ne nous sera pas donné de tout voir, comme c’est le cas dans une présentation traditionnelle où le spectacle est présenté de front. On regrette un peu de ne pas avoir pu observer la danse de tous les interprètes. On se dit que c’est peut-être là une représentation réaliste de la vie, qui finalement relève d’une autre bien grave question : celle du timing. Ainsi l’interrogation principale suscitée par Non de nom est peut-être moins qui suis-je, où suis-je ou où vais-je, mais plutôt qu’ai-je vu ?

crédits photos: Ariane Plante

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