La réalité n’est pas virtuelle

02.05.2017

Out of Season, chorégraphie et interprétation : Ame Henderson et Matija Ferlin ; musique : Victoria Cheong ; lumière : Paul Chambers ; scénographie : Mauricio Ferlin. Présenté à l’Usine C du 25 au 27 avril.

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Une dalle de béton ; un rideau noir ; un mur cru ; deux tables de mixage sonore et lumineux ; quelques bancs et coussins rudimentaires ; deux danseurs, en tenue sportive, yeux maquillés comme des mimes, visages impassibles, font les gestes de se téléphoner. Tels ils vont dérouler, en parallèle et sans presque se regarder, l’enchaînement de leur gestuelle, faite d’une ribambelle chantante de gestes quotidiens.

Quel bonheur de se retrouver en plein minimalisme, dans cet espace vaste et sobre de l’Usine C, où tout un chacun est visible et où les danseurs viennent tout près du public. La pièce commence par un duo de musique silencieuse, une harpe pincée, une corde frottée, un souffle suspendu à une note tenue. Et le geste mimé se défait, harmonieusement, pour évoquer tel geste de métier, telle habitude, tel trait identifiable de mouvements ordinaires et basiques : jeter, ramasser, nouer, défaire, attraper, tendre, tourner, tenir et manier…

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Chaque détail est à voir, les mains surtout, ces doigts crochus et précis de Matija Ferlin, artiste croate à la beauté d’un Christ, pinçant l’invisible ; ces poignets tournant avec précision et force quelque instrument pesant ou manipulant au contraire une corde imaginaire. Au sol, en l’air, lancé, rattrapé, la quantité invisible se plie au mime, tandis qu’Ame Henderson et Matija Ferlin, en jouant dans une similarité artistique distinctive, incarnent le dessin animé grâce à leur vitalité de vivants.

Dans l’espace que ceux-ci arpentent en continu, ils mettent de la chair et du poids à la composition musicale de Victoria Cheong, un tissu musical méditatif et atmosphérique qui donne une couleur propre à la proposition dansée, sorte de coquille creuse qu’on pourrait imaginer correspondre aux catégories métaphysiques d’Aristote.

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Une ode aux artisans

Le dialogue musique et danse fait penser au Pas de deux (1968) de Norman McLaren et, plus tard, au programme informatique Lifeforms de Merce Cunningham, conçu et exploité à la fin des années 80. Ces formes transitives formant une séquence liée ont alors permis d’observer la danse, jusqu’à l’impossibilité même de danser ces minuscules passages graphiques. L’idée de mouvement devenait visible. Dans la création de Henderson et Ferlin, c’est exactement l’inverse : un juste retour du corps en exercice répond à la machine qui mémorise gestes et mouvements et les réorganise sans se soucier d’équilibre ni de matérialité.

Ce n’est donc pas un corps alternatif et mécanique que proposent ces danseurs, mais bien leur méticulosité admirable dans leur mélange de souplesse et d’organicité, un artisanat superbe de la danse, face à la technologie qui les environne. On y voit défiler toute une mémoire du corps artisan dans tous les métiers et les jeux d’autrefois.

Les quinze dernières minutes sont à cet égard significatives, puisqu’elles mettront le spectateur en attente, bientôt déboussolé et s’ennuyant superbement, devant l’immobilité statufiée des interprètes, alors que la composition musicale déchaine ses vibrations en grande amplitude, gonflant les rideaux comme sous l’effet du vent − un vent virtuel dans un orage techno −, et qu’il ne reste au public qu’à décider de quitter la salle, quand le corps vivant n’est plus en mouvement.

crédit photos : Dejan Stifanic

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