Jubiler

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02.04.2021

L’amour est un dumpling. Texte de Mathieu Quesnel et Nathalie Doummar. Scénario et mise en scène : Mathieu Quesnel. Interprétation : Nathalie Doummar, Simon Lacroix, Zhimei Zhang. Décor : Odile Gammache. Costumes : Sylvain Gammache. Éclairage : Renaud Pettigrew. Musique : Nicolas Basque. Vidéo : Alexandre Leblanc. Accessoires : Normand Blais. Assistance à la mise en scène et régie : Andrée-Anne Garneau. Présenté au Théâtre Duceppe jusqu’au 25 avril.

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L’émotion de se retrouver

Marc et Claudia se retrouvent, après sept ans de séparation. « The flower is dead but the smell is still there » récite la restauratrice qui les reçoit, traduction du mandarin d’un proverbe ancien. C’est que Marc a encore Claudia dans la peau, quand bien même il est père de quatre enfants, le dernier ayant décoré son veston d’un petit dégueulis blanchâtre ; c’est que Claudia, de même, éprouve encore cet amour contrit pour Marc, au bout d’une relation qui n’a pas su trouver sa fin. Cette odeur, « the smell of the dead flower », prend toute la place dans L’amour est un dumpling.

Marc et Claudia n’avoueront pas, bien sûr, pas tout de suite, cette attirance tressée de nostalgie. Marc fait fortune dans les jingles et est sis à Saint-Lambert ; Claudia aime son Arnold, mannequin avec qui elle vit sur le Plateau-Mont-Royal. N’empêche, pour peu que Claudia quitte la pièce, Marc s’empare de son écharpe pour s’imprégner de son odeur. « Je l’ai sniffée », conviendra-t-il quand elle le découvrira avec le morceau de tissu. « Je l’ai sniffée et j’ai bandé. » Incertaine, Claudia laissera tomber : « Ben… merci ? » Toute leur relation possible se tient dans cette ambivalence.

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« Pas de câlins, pas de pépins »

Les textes de Mathieu Quesnel et Nathalie Doummar sont d’une redoutable efficacité. Tout appuyée sur ce dialogue d’amour non-dit – néanmoins amour transi –, sur les mises à distance ironiques de celui qui ne veut pas se laisser démasquer dans ses désirs, de celle qui craint la honte et le rejet, la pièce fait – forcément – l’économie des contacts physiques. Les saillis s’enchaînent sans pourtant paraître racoleuses ou simplettes ; on flirte volontiers avec « une ligne, un punch » mais dans un raffinement jubilatoire. « C’est quoi ? », s’étonnera Claudia en voyant la tache blanche sur le veston de Marc. « Coudonc, est-ce que tu t’es branlé avant de venir pour être plus détendu ? », s’amusera-t-elle. « Coudonc, viens-tu juste de voir un film avec Ben Stiller et Cameron Diaz? » Ce n’est pas du plus grand esprit, mais ça suffit à donner au scénario de Mathieu Quesnel un rythme emporté.

La mise en scène et la scénographie relèvent un défi de taille, car une gymnastique amoureuse sans contact exige que la tension sexuelle soit distribuée autrement. La table basse du restaurant sert de ressort à moult positions langoureuses des comédiens. La musique, qui subrepticement les interrompt quand la proximité les menace, ou la restauratrice, qui survient en criant son « dumplings! », suffisent à justifier ces corps à distance.

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Tout abandonner

Marc est marié à une dentiste, il vit en banlieue, a vendu son âme pour la musique publicitaire. Il conduit une mini-fourgonnette rouge. Rien de plus lointain que sa jeunesse de musicien, sa tournée en Asie ponctuée de baises torrides avec Claudia. Cette dernière le toise : n’a-t-il pas un peu abandonné la vie qu’il désirait ? « Y a rien de plus satisfaisant que d’abandonner ses rêves », clame-t-il. « Wake up! » La pièce avance ainsi, baignée dans une ironie qui tente, tant bien que mal, de mettre les émotions à distance – et aussi bien dire cet idéalisme fait d’amour passionnel, de pulsions à court terme, de dumplings fourrés de n’importe quelle viande. Pourtant, dans ce jeu, le désamorçage permet aussi que surgisse de vraies failles. Quand Marc, qu’interprète Simon Lacroix avec une vitalité hyperactive on ne peut plus attachante, ponctue ses surprises et soubresauts de « ben voyons donc », on le suit dans l’indicible de ce qui se joue, malgré l’ironie qui tâche de nous faire sourire. Cette percée donne au jeu un surcroît de subtilité, quelque chose comme de la finesse.

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« À deux, c’est mieux »

Simon Lacroix et Nathalie Doummar s’avèrent virtuoses. La vivacité de leurs échanges, dans un français populaire, versant parfois dans un anglais de culture pop – les « faut que je fasse un move » et « je vais te mindfucker » laissent très vite place à un dialogue en anglais rudimentaire, symptomatique d’une génération cosmopolite, hipster, composée de citoyens du monde ; le mandarin survient parfois, achevant de donner au Montréal de ce récit son aspect bigarré. Mais là où l’interprétation impressionne le plus, c’est dans les interprétations musicales. Il faut noter la vie quasi-inespérée qui en émane, comme si la mise en scène voulait combler ses spectateurs, qu’elle les savait avides de cette présence complète, saturante. « À deux, c’est mieux », laisse tomber la restauratrice à l’arrivée des convives. Du rire en chœur à la musique en communion, L’amour est un dumpling réussit à faire en sorte que l’on soit tous ensemble.

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crédits photos : Danny Taillon

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