Gala d’ouverture

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26.05.2017

100% Montréal, une conception de Rimini Protokoll (Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel) ; mise en scène de Helgard Haug et Stefan Kaegi ; scénographie de Marc Jungreithmeier et Mascha Mazur, interprétation de 100 Montréalais ; musique live par Navet Confit. Présenté au Théâtre Jean-Duceppe du 25 au 28 mai 2017 dans le cadre du Festival TransAmériques.

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Le FTA reprend exactement où il s’était terminé l’année dernière, mais c’est peut-être là où le bât blesse.

100% Montréal ouvre l’édition 2017 du Festival Transamériques, un spectacle produit par Rimini Protokoll qui en est à sa trentième édition depuis 2008, et dont la liste des dates de présentation s’allonge encore jusqu’en 2019. La troupe berlinoise se présente dans différentes grandes villes à travers le globe pour mettre en scène un portrait représentatif du lieu d’accueil. La ville devient ici le personnage central, et on assiste à une déconstruction de ce bloc urbain monolithique auquel on greffe cent visages la représentant.

Je suis Montréal

De statistiques socio-économiques et démographiques de la ville, on a réuni un ensemble de cent citoyens formant le visage métissé de Montréal. Francophones, anglophones et allophones, hommes et femmes, jeunes et vieux, montréalais d’origine et d’adoption se partagent la scène dans ce qui ressemble à une grande fête célébrant tant ce qui nous unit que ce qui nous divise. Le plus grand point commun à chacun des participants, autre que leur montréalité, est sans doute leur amateurisme quant au théâtre et à la scène, ce qui vient avec son lot d’oublis au micro et de déplacement laborieux sur scène qui ne sont pas sans donner une couleur excessivement honnête et vraie à cette proposition artistique.

La représentation débute par les présentations d’usage, où chacun prend la parole une dizaine de secondes pour se présenter et nous dire quel objet il a apporté sur scène. Le ton est donné rapidement, que ce soit lorsque l’un d’entre eux déplore la qualité du français à Montréal, soulignant du même souffle que ce spectacle confirmait ses craintes, ou encore quand Salih El Halaf qui souligne qu’il n’a rien amené, et qu’il est un réfugié syrien.

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Puis, entre quelques questions de type sondage, les mouvements de foule répondent plus éloquemment que les individus. Toute la première partie du spectacle se dessine merveilleusement par la création de cette histoire intime de Montréal, celle de chacun des Montréalais. Le dispositif est efficace, on se fait remettre au visage notre ignorance des vies qu’habitent nos voisins ; rarement connaît-on, en effet, la fascinante épopée les ayant menés à vivre dans le bloc d’à côté.

Je t’aime, moi non plus

Dans un deuxième temps, les groupes se diviseront au rythme des questions et chacun pourra décider de loger sous l’enseigne du pour ou du contre. En découlent des questions typiquement montréalaises quant à la qualité du français tout comme celle concernant le réseau routier, les questions politiques autour de l’immigration et de l’indépendance, ou encore celles au sujet des genres ou des Premières Nations. Bien que le mouvement des groupes soit l’essence de la mise en scène elle-même, la mécanique devient rapidement évidente alors qu’au contraire, les différentes parties du spectacle semblent s’allonger, ce qui plombe un peu le rythme.

Il y a aussi dans l’ordre des questions quelques désamorçages politiques parfois efficaces, parfois déplorables ; la question, par exemple, « Qui est pour la redistribution de quelques territoires montréalais aux premières nations ? » est suivie de « Qui est dans une chorale ? ». N’en demeure pas moins que certains chocs de foule frappent plus que d’autre. Lorsque certains répondent oui à la question « Est-ce que la violence est un moyen acceptable pour faire passer un message politique ou social » quittent pour faire place à ceux qui répondent oui à la question « J’ai vécu la violence politique et militaire dans ma ville », il y a là une grande rencontre du réel et de la candeur, du fantasme et de l’horreur.

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Cache-cache

Si l’idée est brillante, le spectacle, lui, pêche par répétition. En revanche, les créateurs, manifestement, le savent et l’essence de leur travail consiste à camoufler la mécanique redondante de cet exercice démographique qui flirte parfois avec l’infopub signée 375e ou Statistique Canada. On joue donc, bien sûr, avec le mouvement, mais aussi la perspective : une caméra filme la scène des airs, nous projetant sur un écran rond cet angle sous lequel tous deviennent un graphique plutôt que des individus humains.

Quelques bons flashs aident à soutenir l’attention pendant ce spectacle qui s’étire sur près de deux heures. Notons les réponses secrètes, où les citoyens peuvent répondre de façon anonyme à certaines questions plus difficiles, grâce à des témoins lumineux, créant ainsi une constellation de réponses. L’arrivée sur scène du groupe Navet Confit donne également un souffle et un rythme qu’on cherchait pendant la première heure de la représentation, on se demande même pourquoi il n’y était pas plus tôt.

Le théâtre comme dispositif social

Pour ceux qui auront assisté au spectacle de clôture du FTA 2016, 100% Montréal aura des airs de déjà-vu, car il n’est pas sans rappeler le Gala de Jérôme Bel qui conviait des non-danseurs à venir tenter le mouvement sur la scène du Monument-National, où les différents corps, âges, sexes et nationalités resplendissaient de singularité et d’humilité. Si Bel a réussi là où Rimini Protokoll échoue, c’est clairement grâce à sa proposition qui dépassait la mise en scène du quidam, créant un tout homogène tout en conservant la particularité de tout un chacun.

100% Montréal s’inscrit dans une veine de théâtre documentaire qui gagne en popularité. Outre Gala, on peut penser à J’aime Hydro de Christine Beaulieu et Annabel Soutar qui débutait son périple l’année dernière au FTA, ou encore le NoShow d’Alexandre Fecteau et le Pôle Sud d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’Émile Proulx-Cloutier. Ces spectacles empruntent tous les codes du documentaire cinématographique ; on pourrait même effectuer un parallèle avec le cinéma direct de Pierre Perrault tourné à une époque où les gens ne se mettaient pas en scène dès que la lumière rouge d’une caméra s’allumait.

Bien que ce théâtre documentaire fascine par sa pertinence et redonne au théâtre des allures d’agora où le social et le politique prennent voix, il remet en question l’utilité de la fiction comme moteur de réflexion. Les succès récents du théâtre documentaire abordant tantôt la ville, tantôt les entreprises d’État, tantôt la condition de l’acteur sont autant de pièces nécessaires. Mais quelle foi accordent-t-elles à la dramaturgie, à la mise en scène et au travail de l’acteur cherchant à répondre à ces questionnements, tentant d’incarner en lui-même ce vecteur de changement ? Ici, plutôt que de mettre en opposition ces deux postures, on assiste à un simple soulèvement réflexif pour poursuivre ailleurs la discussion.

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