Faire du théâtre

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20.11.2019

L’asile de la pureté et quelques fragments, Texte : Claude Gauvreau, mise en scène : Alice Ronfard. Dramaturgie et collage : Alex Bergeron, en collaboration avec Alice Ronfard. Avec : Loïc McIntyre, Pierre-Alexis St-Georges, Janie Lapierre, Esther Duplessis, Aurélie Fortin, Bozidar Krcevinac, Marie-Madeleine Sarr, Héloïse Desrochers, Cédric Lavigne-Larente, Jérémie Caron, Valérie Tellos, Étienne Laforge. Présenté au Monument National, du 19 au 23 novembre 2019

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Véritable « rite de passage » comme l’indique le livret de la pièce, ce spectacle des finissants de l’École nationale de théâtre constitue un projet collectif permettant à chacune et chacun des jeunes artistes de se faire la main. La nature même de l’événement ne permet donc pas une évaluation semblable à ce qu’on réserve à une pièce professionnelle : il y a une sorte d’exercice de style particulier que le spectateur voit à l’œuvre ; notamment, la pièce réunit douze comédiennes et comédiens. La fragmentation de la mise en scène semble viser, précisément, à offrir à chacun et chacune un espace pour se faire valoir. De même, la théâtralité sature les scènes, les monologues, les gestes : on fait du théâtre de façon ostensible. Il y a là, forcément, un objectif pédagogique pour le moins réussi : le jeu est sans tache ou presque, on voit les interprètes batailler avec les textes – maniérés, grandiloquents – de Gauvreau, et de véritables moments de bravoure réussissent, de-ci, de-là, à convaincre du talent en place.

Un collage

Le cœur de la pièce, pour ainsi dire, c’est Claude Gauvreau. Si tous les interprètes sont vêtus de blanc, ou torse nu, une allure clinique et tribale assez comique, Pierre-Alexis St-Georges seul est, dans le rôle du poète, tout de noir vêtu, moustache reconnaissable, cheveux en rideaux. Gauvreau livre alors, par moments, depuis la trame principale de la pièce – qui reprend L’asile de la pureté, drame autobiographique en cinq actes– des fragments tirés de ses textes esthétiques, de ses poèmes également. La pièce s’ouvre de façon symptomatique sur des vers en exploréen, ce langage déconstruit et si sonore, qui donnent naissance très vite à une sorte de chorégraphie hip hop amusante.

Le problème du collage est toutefois d’ordre narratif : si la pièce de Gauvreau est pour le moins maladroite dans sa narrativité, lui adjoindre des morceaux choisis ajoute à l’empilement général – un empilement textuel, souvent vertigineux, et par moments difficilement digérable. Ainsi, la fin semble toujours ajournée – la pièce dure 2h00 que la dramaturgie de Gauvreau fait passer doucement, nous imposant un décrochage constant, une mise à distance éreintante. Il n’y a pas de crescendo et la ligne d’intrigue, si ténue, est cassée plusieurs fois.

Un hommage

Alice Ronfard écrit dans le livret de la pièce la nécessité de Claude Gauvreau : « Nous nous devons, nous, les contemporains de Gauvreau, de faire entendre sa parole acérée et intransigeante non pas comme un porte-drapeau, mais comme une ode à la vie lumineuse. » Il reste quand même que la pièce paraît habitée par ce « porte-drapeau » ; en effet, on y raconte le destin de Donatien Marcassilar, poète et dramaturge incapable de se remettre du suicide de son amante, Edith Luel. Pour résister, il choisit alors de jeûner. La pièce se développe sur un fond surréaliste, le poète jeûnant jusqu’à 89 jours – sans boire ni manger ! – et se tuant plus ou moins à la fin en s’attaquant à un banquet. Or, le poète voit graviter autour de lui, le visitant à l’asile, de jeunes artistes l’adulant ; et il est difficile, par ce ton au cœur de l’intrigue, de ne pas percevoir cette forme d’adulation pour la parole de Claude Gauvreau, si forte et défendue sous diverses formes dans cette mise en scène.

Il reste pourtant que le spectateur contemporain, habitué aux transgressions, ne pourra que mesurer le caractère éventé des révolutions langagières de Gauvreau ; une allure grossièrement dépensière, un luxe de mots qui pèse sans arriver à évoquer, une écriture inutilement alourdie, chargée sans pourtant porter de sens. Des répliques font encore sourire, c’est vrai, même si l’humour appartient à une autre époque : « Ne reviens pas tard, car tu ne reviendras pas assez tôt », « Tu es belle comme Dieu, s’il existait », ou encore, à la fin, lorsque l’interprète de Donatien brise le quatrième mur, confiant avoir servi des répliques coupées du script.

Ces petits moments restent cependant enchâssés au sein de répliques un peu fumeuses, comme : « Il est une injure à notre somnolence », « Je meurs pour une transcendance, n’importe laquelle », « Je veux de la lucidité. Et j’en ai pour nourrir toutes les nations », « L’asile de la pureté, c’est la mort », « Elle est morte, car elle a aimé le contraire de l’amour, l’univers ». Ces passages peuvent paraître anecdotiques, mais c’est qu’ils s’additionnent, se multiplient, souvent maladroits, rarement sentis – le spectateur mesure alors à quel point les comédiennes et comédiens font tout ce qu’ils peuvent pour donner une portée à un texte aussi revêche.

Du côté de la mise en scène, il faut dire qu’elle est inventive, parfois trop : changement de voix des personnages, micros sur scène pour des monologues, mouvement de scène en pente, jeux divers d’éclairage, musicalité parfois mielleuse en appui à des diatribes, moments de danse tribale, etc. Cette surenchère tente, on le voit, de se coller à l’esthétique de Gauvreau. Elle en fait trop, certes, mais peut-être en ce sens fait-elle le nécessaire pour ficeler l’ensemble et lui offrir une forme de cohérence.

 

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