Du cinéma pour la danse

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08.04.2022

Le 40e Fifa en bref : 209 titres / 46 pays /8 espaces de projection / 3 pop-ups cinémas / 18 films en compétition longs-métrages / 20 films en compétition courts-métrages / 6 prix / 50 premières mondiales / 59 premières nord-américaines / 36 premières canadiennes / 66 titres canadiens / 1 espace de diffusion en ligne tout au long de l’année

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La pandémie a créé un essaim de solitudes reliées par les seules images virtuelles : spectateurs et spectatrices, nous avons regardé les images du monde depuis deux ans, assis·es, branché·es, sirotant thés et cafés. Au quotidien, nous avons vécu des peurs paradoxales, la crainte d’être isolé·es et celle d’être contaminé·es.

Nos lieux de rassemblement et de socialité désertés, les écrans sont restés. De nouveaux réseaux sont apparus, et ce 40e FIFA le prouve par une offre échevelée, indigeste, éclatée. Le temps a manqué pour les tables rondes où circulent les idées. En ce qui concerne la danse, les films – 27 courts -métrages présentés en une soirée marathon (18, l’an dernier) – reflètent l’esprit du temps : pièces ou propos concernant la nature et l’écologie, culte de la marche ou du mouvement naturel, retour vers l’intime.

Scénariser ou filmer la danse?

Écho (Édouard Lock) a la magie du chant du cygne. Issu d’un solo éponyme, le film a été tourné selon une approche cinématographique, et non dans la logique d’une captation de spectacle. Distillant l’étrangeté, le scénario s’émancipe de la chorégraphie, la danseuse devenant un personnage fictif. A l’opposé des films de fiction qui mettent une danseuse en vedette, celui-ci n’utilise que le vocabulaire de la danse classique, allié aux techniques cinématographiques (éclairages, maquillages, couleurs et teintes, haute précision de l’image, montage et plans variés), pour concevoir et réaliser le scénario. Dramatique, le langage gestuel et théâtral de Lock est au service d’une nymphe magnifiée, qui voit son image se dégrader et son charme fascinant se perdre dans l’écho angoissant de sa vie fragile. Le trésor mythologique de ce récit antique fait ainsi référence à notre époque de rêves brisés, d’envolées impossibles, comme si l’art et, plus que jamais, l’artiste elle-même ou lui-même effondré·e·s, devaient se résoudre à faire le deuil de la splendeur, de la grâce et de la beauté.

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Dans La Femme ovale, Mario Côté a capté la reprise par Marilyn Daoût d’un solo marquant du répertoire québécois. Il s’agit d’un portrait de femme, chorégraphié et dansé par Louise Bédard en 2003, une suite de Cartes postales de Chimère, où la danseuse tournoie dans une structure ronde comme pour s’en libérer. Angelo Barsetti aux costumes, Axel Morgenthaler à l’éclairage, Jean Derome pour la musique : ces artistes de la pièce filmée ont marqué leur génération en soutenant la liberté, la folie et la fantaisie de Bédard.

Un autre film expert, porté par l’imaginaire féminin, m’a paru artistiquement incontournable. De Margie Gillis, je retiens Crow, tourné par Louis-Martin Charest, dansé par Susan Paulson et créé pour elle. Cette belle chorégraphie est inspirée par le vol, les attitudes, les jeux de tête et le déplacement au sol des corbeaux. Le mystère de la nature est ici habilement transposé et la danse étrange de cette femme-oiseau rend visibles les mouvements de l’animal. On est aux limites de la condition humaine. Ces solos continuent de donner au répertoire québécois des bijoux poétiques : de tels films rendent justice aux pouvoirs spécifiques de la danse.

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La Somme de nos rêves est un autre transfert de la scène au cinéma. Jérémie Battaglia et Johanne Madore ont réuni les artistes de l’École nationale du cirque de Montréal. Le film a été conçu pour pallier l’interdit de présence en scène : on a scénarisé dans la lumière la magie des acrobates et des trapézistes, on a tourné en forêt, on a utilisé les rayons laser, on a imaginé un océan où flotte la roue métallique, on a multiplié les angles de prises de vue, on a joué sur le montage pour déplacer le regard. Il a fallu filmer sans reprise, évaluer les risques de blessure comme jamais, ne pas rater la spontanéité de la prise unique du spectacle en direct. Il fallait donner au film un rythme, une grâce, des performances circassiennes aux ralentis harmonieux, des chorégraphies de rêve. Il a fallu que la musique ajoute à l’invention des images sa puissance d’évocation émotionnelle, atmosphérique. Grâce au son, on a inventé une foule, une ville, un drame, un jeu d’enfant, un combat, un sens.

S’abandonner au virtuel

Ancienne danseuse de La La La Human Steps, Mistaya Hemingway a réalisé, avec At Lake, un film de danse surréaliste, montage de scènes sorties de l’inconscient. Hommage à la cinéaste de danse américaine Maya Deren inspiré par la psychanalyse des années 1940, ce film propose des chorégraphies au coeur de la nature, où Hemingway danse, avec Isabelle Poirier, autour des thèmes de la famille, du double, de la mémoire et du rêve. La libre association des images et leur montage juxtaposé ne permettent pas de saisir toute l’intention de la réalisatrice, mais on peut laisser fluer sa propre imagination vers ces jeux freudiens et interroger leurs énigmes.

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Un monde conceptuel personnel est-il partageable ou enferme-t-il son créateur ? C’est la question que je me suis posée devant le film du français Laurent Goldring qui propose Alice au pays, une performance graphique de la danseuse Louise Lecavalier. Si l’écriture de pictogrammes inventés retient l’attention, le texte et la performance semblent prolonger les œuvres plastiques de Golding, davantage adaptées à une galerie d’art.

Pourtant, ce film, qui porte sur l’informe du corps, sur la banalité du texte débité en voix off, sur l’évidence et la simplicité du graphisme, se comprend à un second degré. Dans cet univers abstrait où les éléments se croisent et se repoussent, on se convainc que la banalité générale dénonce la séduction des images, qu’il faut casser. Pas de doute, l’intention se lit dans le titre : à ôter les « merveilles » que l’imaginaire de Lewis Caroll proposait aux enfants, on a substitué la plate réalité sociale contemporaine : le mystère (la danseuse, l’écriture) y demeure entier.

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Regrettera-t-on que les corps soient dématérialisés ? La scène offre des émotions incomparables, que les films sur le corps en mouvement n’offrent pas, mais certains films créatifs du FIFA sont néanmoins plus que des documentaires. Dans cette édition 2022, beauté et tempo semblent créer des saisons illusoires en accéléré.

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