Des mondes d’images à faire rêver

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27.03.2020

38e FIFA en ligne : ce sont 167 films à ce jour, longs, moyens et courts-métrages, répartis en Programme expérimental, Films iraniens, Carte blanche à l’Opéra de Paris, Carte blanche à Nowness (The China Wave) et Vidéoclips, et disponibles sur la plateforme Vimeo sur demande (pour 15$ maintenant) jusqu’au 29 mars, à minuit.

Comment partager l’émotion solitaire que nous donne la moisson des images, grâce à ces équipes soudées jusqu’après le montage de milliers de captations ? Dans la relation privilégiée que le FIFA a bâti via nos petits écrans, les films d’art se dématérialisent pour remplir leur mandat, faire connaître les savoir-faire humains. Les expériences et les découvertes artistiques y paraissent infiniment renouvelables dans leur diversité. Surprises, fascination, exploits entêtants, inoubliables.  

Quoi voir, en bref ? Aucun des six prix octroyés cette année, toutes catégories ciblées, ne mériterait d’être exclu. Les faire siens, tout de suite. Sinon, que choisir ? Le Grand prix du jury, We Are Not Princesses, une séquence de vie des Syriennes au Liban réfléchissant sur la tragédie Antigone de Sophocle ? Architecture of Infinity, images rapportées d’entreprises héroïques, dans les lieux les plus inaccessibles, les plus méconnus ou les plus inhospitaliers de la planète ? Ou L’âge d’or, une suite chorégraphique d’une grâce infinie, dansée avec des enfants gravement handicapés, propre à vous tirer des larmes d’humilité ?

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Théâtre et performance

We Are Not Princesses, de Bridgette Auger et Itab Azzam, suit des Syriennes réfugiées à Beyrouth, confinées dans un quartier détruit, lisant la pièce Antigone. Son destin leur ressemble, disent-elles. Ces femmes qui ont tout perdu, souvent leurs proches, sentent que leur vie est précieuse, plus utile et plus libre qu’auparavant. Actrices, elles nous deviennent proches, même si leur réclusion, leurs mariages et les forces religieuses et culturelles qui les ont dominées, on l’entend, nécessiteront d’autres partenariats avec les femmes que, par l’histoire, nous sommes devenues. Leur quotidien nous invite ici à imaginer des ponts.

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Lemebel, de Joanna Reposi Garibaldi, touche aux extrêmes d’une vie impossible. Portait douloureux de Lemebel, un performeur gay dans le Chili des années 80, lorsque régnait la dictature de Pinochet, le film retrace un engagement de sang, de cœur, d’identité profonde d’un écrivain, artiste visuel et pionnier du mouvement queer. Lutter pour sa vie, sa vérité, contre les interdits et les préjugés, déclenche les hostilités les plus injustes et les plus répressives, mortelles. Ce film dit au présent le bienfondé des droits humains.

Danse

Aida, d’Edouard Lock, est une chorégraphie remarquable, inédite, et un film de danse de treize minutes, où la caméra et la musique se disputent la danseuse au plus près du corps. L’interprète Gesine Moog y décline un langage virtuose de signes dansés, infinitésimaux et très rapides, au milieu d’un cercle de spectateurs, assis par terre, dans le grand musée Van Beuningen de Rotterdam. Dépouillée et méditative, la chorégraphie capte l’essence d’une perturbation profonde, incarnée sensoriellement par un personnage de femme à la fois actuelle, forte, mature, généreuse et héroïque. Plus électrique que jamais dans le répertoire de Lock, cet exercice d’écriture admirative, dialogue avec le tango, et la performance passionnée de la danseuse, font rejaillir le couple immortel du créateur et de sa muse.

« Comment, et à quelle réalité sonore (paroles, musiques, bruits…) la danse peut-être imposer une minute de silence ? » C’est la question que le chorégraphe et danseur Dominique Dupuis s’est posée et a adressée à treize autres grands chorégraphes.  Minutes de silence, de Alain Fleischer, en est le dépositaire, toutes ces réponses dansées s’étant tenues peu à peu dans un seul théâtre, le Palais de Chaillot à Paris : au final, voici vingt-huit minutes éclatantes.

Musique

Mingus Erectus, d’Amaury Voslion offre, en quatre-vingt-quinze minutes de pure jouissance, un hommage au grand jazzman Charles « Chazz » Mingus. Il suffit de se laisser emporter par les trente-sept musiciens et poètes que dirige Noël Balen, homme-orchestre à la tête des compositions, des textes et des choix divers. À eux tous, ils donnent aux trombones, pianos, micros et tous autres cordes et cuivres des accents mélodiques aux poèmes rythmés et aux images d’archives superposées que l’on doit au fameux Goodbye Pork Pie Hat de Mingus, finalement ici interprété.

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Taking Risks, de Maria Stodtmeier, est l’un de ces portraits qu’il fera bon découvrir dans ce FIFA multiforme. Opéra, performance, exploration contemporaine, direction d’orchestre classique : il faut du courage pour innover et s’imposer dans les univers les plus contraignants, les plus masculins et les plus rigoureux de l’art ! La cheffe Barbara Hannigan accomplit ce miracle. Optimiste, originale, décidée, elle abat les cartes secrètes de ses coulisses. Elle renouvelle à tout le moins l’approche de son art, dans lequel, à la direction, aucune femme ne s’était encore illustrée.

Portraits croisés de territoires

Les portraits d’artistes sont à l’honneur de cette 38e édition du festival. Au choix, parmi ces génies ou ces inconnus émouvants : le peintre Derouin – Métis des Amériques, de Julie Corbeil ; l’artiste visuelle dans The Singing Glass, de Samantha Adler de Oliveira ; le testament ENVOL entre fleuve et ciel, de la regrettée Chantal DuPont ; le peintre humaniste Ernest Pignon-Ernest, à taille humaine, de Yann Coquart ; le sculpteur et la peintre bulgares, réfugiés à Terre-Neuve, Luben and Elena, de Ellie Yonova ; la conceptrice de Behind Natacha Rambova’s Shadow, de Georgina Sas.

Il y a des perles rares, des films minuscules, comme ce Figaro éblouissant de quatre minutes signé Bret Easton Ellis, des condensés d’espace-temps, des choix parmi d’autres choix. Si le metteur en scène Kyrill Serebrennikov, incarcéré depuis 2017 dans une prison russe, réussit l’exploit de diriger l’opéra Così fan tutte de Mozart sur la grande scène de Zurich, et si la caméra de Eduard Erne et son équipe, dans A Theater Director under Arrest, celui de nous restituer son immense audace artistique, alors tous les espoirs sont permis : que l’art soit le lien indéfectible entre les acteurs et les spectateurs, confinés mais solidaires, et que chacun des artistes ici présents dans ce Festival soit le dépositaire et le garant de nos libertés.

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