Dénude-toi que je me libère

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09.05.2022

Les Érotisseries : essais érotiques consensuels. Création et interprétation : Catherine Desjardins-Béland, Éliane Bonin, Marie-Christine Simoneau et artistes invité·e·s ; Conseillers artistiques : Mathieu Riel et Stéphane Crête ; Sonorisation et créations sonores : David Babin ; Conception de lumière et direction technique : Gabrielle Garant ; Direction de production et régie : Marie-Jade Lemonde. Du 3 au 21 mai 2022 au Théâtre Espace Libre.

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« De l’érotisme, il est possible de dire qu’il est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »
Georges Bataille, L’Érotisme

Dans la pénombre, une femme est placée en posture inversée, tête en bas et jambes en l’air. Elle est nue. Lentement, elle écarte grand les cuisses, découvrant ainsi son sexe duquel s’extrait une rose. Silence dans la salle. Raidi au bord des sièges, le public semble totalement ébahi par cette nudité décomplexée, devenue pur matériau, et par la prouesse de l’athlète. Apparaît dès lors sur scène la faucheuse, bien décidée à mettre un terme sanglant au spectacle. Mais la voilà hypnotisée à son tour par cette beauté brute et sublime, offerte à la vue de tous et toutes. À défaut d’en dérober la vie, la Mort « déflore » la femme, puis sort.

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Ce tableau prenant sur lequel s’ouvre Les Érotisseries, en même temps que d’annoncer l’intensité performative au cœur de la création collective, symbolise la tension entre pulsion de vie et pulsion de mort générée par l’érotisme. Mêlant le cirque à la performance artistique, les trois comédiennes et acrobates dissèquent ce thème audacieux à travers différents « essais érotiques » fondés sur leurs expériences personnelles de la sexualité.

Éros et thanatos

Si l’érotisme, pour le dire avec Bataille, est le domaine de la violence et de la violation, c’est en tirant parti des arts circassiens, où plaisir et danger se nourrissent l’un et l’autre, que Les Érotisseries développe un imaginaire érotique particulier. Feu, fouet, pole dancing et sangle aérienne sont autant de dispositifs utilisés par les performeuses pour figurer des envolées vers la mort et la jouissance, lesquels ne sont évidemment pas sans rappeler les pratiques sexuelles du BDSM. Sans cesse, les femmes rampent, dansent, souffrent et s’extasient, aboutissant à répétition à la « petite mort » provoquée par l’orgasme. En transgressant toutes les limites du corps comme de la morale chrétienne, la pièce cherche à réveiller nos désirs les plus réprimés ainsi qu’à nous encourager à cultiver une sexualité où prolifèrent les possibles. De là se développe en creux une sorte de politique érotique dont l’objectif serait d’opposer aux impératifs sociaux de performance et de contenance un « espace de désir sans peur et sans limites ». Éliane Bonin livrera en ce sens un plaidoyer pour la liberté sexuelle à l’ère capitalistique tout en se masturbant avec passion.

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Public voyeur ou mouillé

La portée émancipatrice que la pièce tente d’avoir sur le public dépasse toutefois la seule efficacité cathartique. Les performeuses exploitent en effet à trois reprises la participation des spectateurices. Grâce à ce bris du quatrième mur, elles ont l’opportunité d’aborder de front la notion de consentement, essentielle à toute charge érotique ; il s’agit alors pour le public de décider sur une base volontaire s’il demeure « voyeur » ou s’il se « mouille » en montant sur scène et en prenant part à un délire dionysiaque. Cette portion de la pièce, qui rompt avec toute forme de sublimation artistique, a le défaut d’interrompre la disposition singulière dans laquelle le public était jusqu’alors plongé et par laquelle l’expérience jubilatoire de l’interdit se jumelait à un effort d’intellectualisation. On peut tout de même saluer le caractère de provocation qui anime ces moments de « décrochage » remplis de bouffonneries. La proximité entre les corps nus des actrices, s’adonnant aux exercices les plus lubriques, et les corps habillés des spectateurices, dans lesquels nécessairement nous nous reconnaissons, occasionne un certain malaise, susceptible d’ébranler les tabous. Heureusement, la trame sonore créée par David Babin et les éclairages conçus par Gabrielle Garant font corps avec les performeuses tout au long de la représentation ; sans eux, de toute évidence, ces dernières seraient encore plus dépouillées.

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Jouant ainsi sur la ligne entre le burlesque et le sublime, Les Érotisseries ne manque pas d’ingéniosité, mais aurait toutefois pu gagner en puissance en s’écourtant un peu. Une réduction du nombre de numéros aurait permis d’orchestrer une montée dramatique plus réussie et, par le fait même, de ne pas tomber dans la lassitude. Car à vouloir tenir l’excitation trop longtemps, le désir inévitablement s’effrite, emportant avec lui la curiosité de l’observateurice. L’érotisme étant tributaire de l’inassouvissement, tendu qu’il est vers l’impossible, on pourrait dire que l’œuvre rate partiellement son objet en ce qu’elle cherche à épuiser toutes les sources de plaisir et de fantasme, et oublie que la suggestion vaut parfois mieux que l’explicitation. Une chose est pourtant sûre : Les Érotisseries ne laisse personne sur sa faim.

crédits photos : Hugo St-Laurent

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